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Capture d'écran de la série « O Mecanismo »

Ça fait du ramdam au Brésil : « O Mecanismo », polémiques en série

Lava Jato : après le film, la série. L’opération de la police fédérale qui fait trembler les plus hautes sphères du pouvoir brésilien depuis cinq ans avait de quoi inspirer les scénaristes. Si le film sorti en septembre dernier n’avait pas créé autant de remous que cela malgré sa position tranchée et sans nuance, la série de José Padilha (Tropa de Elite, Narcos) et Elena Soarez a particulièrement fait réagir au Brésil.

Le scandale Petrobrasil

Policia Federal - A lei é para todos ne cachait pas ses prétentions en présentant Lava Jato de manière subjective, mais en s’appuyant néanmoins sur une majorité de faits réels. O Mecanismo, en ligne sur Netflix depuis le 23 mars, est plus ambiguë. Elle se dit « une œuvre de fiction librement inspirée de faits réels », tout en collant très fortement avec la réalité.

Comme le film, les huit épisodes de la série retracent l’opération Lava Jato depuis ses prémices – jusqu’à l’arrestation de Marcelo Odebrecht - du point de vue des enquêteurs de la police fédérale. En revanche, si Lava Jato s’appelle bien Lava Jato dans O Mecanismo, tout le reste, des protagonistes aux institutions brésiliennes, porte des noms d’emprunt qu’il est très facile de décoder : Petrobrasil, Policia federativa, Partido Operario, Procuradoria Geral Republicana, Janete Ruscov, Roberto Ibrahim, Ricardo Bretch…

Inspirée de faits réels, ou pas

Chronologie, faits, personnages (dont le physique est proche de la personne réelle pour la plupart), le spectateur n’est pas dupe. Mais en même temps, José Padilha et Elena Soarez se sont permis de prendre des libertés avec la réalité qui interrogent. Elles tournent beaucoup autour d’un personnage central de la série, Roberto Ibrahim (Alberto Yousseff dans la réalité), et ont été notamment repérées par la BBC Brasil.

Ces arrangements ne sont pas du tout passés, surtout auprès du Parti des travailleurs (PT). Les hommes politiques apparaissent peu, mais dans des scènes particulièrement dérangeantes : Alberto Yousseff aurait eu ses entrées au Planalto, Michel Temer aurait préparé la destitution de Dilma Rousseff avec deux ans d’avance, Lula mouillé jusqu’au cou...

José Padilha, créateur de fake news

Dilma Rousseff s’est fendue d’un communiqué deux jours après la sortie de la série pour dénoncer une œuvre remplie de « mensonges » dans laquelle José Padilha « invente des faits » : « Il ne met pas en scène des fake news. Il est devenu lui-même un créateur de fausses informations. » Des appels au boycott de Netflix ont suivi, menés notamment par l'acteur José de Abreu et le critique de cinéma Pablo Villaça - qui ont eu l'effet totalement inverse, faisant d'O Mecanismo l'une des séries originales les plus vues du service de vidéo à la demande.

L’erreur la plus dénoncée par le Parti des travailleurs est d’avoir placé dans la bouche de Lula (Joao Higino dans la série) la fameuse parole du sénateur MDB Romero Juca qui suggérait qu’il fallait trouver un moyen d’« arrêter l’hémorragie » provoquée par l’opération Lava Jato. Pour José Padilha, interrogé par l’Observatorio do Cinema, il s’agit d’une polémique « stupide » car cette expression est des plus communes. « En ouverture de chaque épisode, il est indiqué que les faits sont romancés. Si Dilma savait lire, il n’y aurait aucun problème », a renchéri le cinéaste brésilien.

Des policiers trop parfaits

Oui, mais « le diable se cache dans les détails, et O Mecanismo serait sans doute meilleure si elle prêtait attention à ce vieux dicton », lui réplique O Globo. « Une fiction basée sur des événements réels n’a pas l’obligation d’être un documentaire, mais c'est mieux si elle s’en tient à ce qui est connu. (…) Voir la fameuse phrase de Romero Jucá dite par Lula rompt le contrat avec les faits. Pour un public international, cela ne fait aucune différence, mais la phrase est trop célèbre au Brésil et la changer de bouche ne fait que rendre le récit confus pour faire du bruit pour rien », précise le quotidien carioca.

« Cette fiction, qui prétend reproduire les différentes étapes de Lava Jato, peut surtout donner la fausse impression, au public étranger qu'elle relate le scandale de façon impartiale », ajoute Miguel Martins, de Carta Capital, interrogé par Télérama. Le rédacteur en chef du site du magazine brésilien critique également la valorisation excessive « de l’héroïsme des enquêteurs », parfaitement incorruptibles, comme José Padilha l’a déjà fait dans Tropa de Elite et Narcos, alors que, selon lui, « l'opération Lava Jato est elle-même loin d'être parfaite ».

Il vaut mieux regarder O Mecanismo que le contraire

« Dans O Mecanismo, José Padilha érige de nouveau la police comme la principale force capable de combattre la corruption. Curieusement, même les procureurs de Lava Jato sont décrits comme des personnages naïfs qui croient les déclarations opportunistes des délinquants qu’ils poursuivent », pointe-t-il du doigt.

La Folha de S. Paulo goûte également peu cette narration quelque peu exagérée – la voix off des enquêteurs principaux est omniprésente et gavée en poncifs, mais, de manière générale, le quotidien paulistano estime que la série est utile pour les personnes ayant perdu le fil de Lava Jato et « qu’il vaut mieux la regarder que le contraire ». « Le cancer dont parle l’agent Ruffo (l’un des personnages principaux, joué par Selton Mello, ndr) a été là et l’est toujours. Du sable a enrayé le mécanisme des entreprises du BTP, mais il fonctionne par d’autres moyens », indique-t-il. L’Estadao concorde. Selon le quotidien, même si elle est bien trop chargée en clichés, O Mecanismo « mérite d’être vue jusqu’au bout, mais comme un pur divertissement ».

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