Sign in / Join
Le lulisme, nouveau sébastianisme ? (Flickr/LulaOficial)

Comprendre le Brésil en un mot : c’est quoi ce sebastianismo/sébastianisme ?

Ancien cadre dirigeant d’une grande entreprise française au Brésil, Christian Pouillaude a vécu, travaillé, voyagé au Brésil depuis plus de 40 ans. Passionné de musique brésilienne (au point de collaborer avec Radio Latina) et de tout ce qui touche à son pays d’adoption, il vit aujourd’hui dans la ville de son épouse, Rio de Janeiro, et collabore avec Bom Dia Brésil à travers une chronique mensuelle intitulée Palabres. Palabres, car on ne peut pas comprendre le Brésil sans saisir toutes les nuances de certains mots du vocabulaire brésilien. Palabres, car ce sont des mots qui prêtent à la réflexion et à la discussion. Le onzième volet de cette chronique se penche sur sébastianisme, un mythe messianique né au Portugal mais qui a fait florès au Brésil. Vous pouvez la découvrir en version podcast ou simplement la lire ci-dessous.

Récemment, en faisant référence à la conviction de Lula de pouvoir redevenir président du Brésil malgré sa condamnation en justice, un journaliste l’a surnommé « dom Sebastião Lula » et a qualifié le « lulisme » de nouveau « sébastianisme ». Mais que voulait-il dire exactement avec cette comparaison ?

Le mot « sébastianisme » vient en direct de l’histoire du Portugal du 16e siècle, celle du tout jeune roi Dom Sebastião (Sébastien 1er), parti hardiment, mais semble-t-il quelque peu imprudemment, à la conquête du Maroc. Il fut battu à plate couture par l’armée des Maures à Ksar El-Kébir en août 1578. Il y mourut, mais son corps ne fut rapatrié que quelques années plus tard à Lisbonne. Du coup, rapidement, au Portugal, se répandit la rumeur qu’il n’était pas mort, mais qu’il s’était enfui dans le désert avec quelques soldats et qu’il allait revenir prendre possession de son trône portugais et délivrer le pays de tous ses problèmes (en l’occurrence la volonté annexionniste du voisin espagnol).

Mouvements millénaristes

Le mythe était né : le roi mort était vivant ; il allait revenir triomphalement sur son beau cheval blanc et libérer le pays de ses plaies et turpitudes, en fondant le 5e Empire, portugais et chrétien. On qualifia ce roi d’encoberto, de « caché ». Il alimenta, des siècles portugais durant, toute une littérature, y compris par la plume de son plus grand poète Fernando Pessoa.

Le mythe traversa l’Atlantique et arriva au Brésil. Il va alimenter divers mouvements millénaristes qui ont fait florès au Brésil à la toute fin du 19e siècle. En particulier à Bahia, celui de Canudos, le plus connu, qui se rebella contre la toute nouvelle République en espérant le retour de la monarchie, avec le retour du roi Sébastien. Ce sera le sujet de deux chefs-d’œuvre littéraires : Os sertões, du Brésilien Euclides da Cunha (1902), et plus récemment La Guerre de la fin du monde, de Mario Vargas Llosa (1981).

Homme providentiel

Mais la forme de ce mythe va évoluer au Brésil sous deux dimensions. D'abord, cette idée du refus de l’échec, de la fin, de la mort : « Non, ce n’est pas possible ! Il va bien se passer quelque chose. » Rien ne peut être définitif même, et surtout, dans une autre dimension. Jusqu’au bout, on croit au miracle. Pas étonnant que de très nombreux Brésiliens croient à la réincarnation.

Mais ce sébastianisme va surtout nourrir le credo brésilien, définitivement bien ancré, de l’homme (ou de la femme !) providentiel, du sauveur de la patrie ! Quelqu’un va venir, ou mieux encore, va revenir, pour nous sauver et nous permettre de réaliser nos rêves. Que ce soit en politique, comme avec Lula, ou au futebol !

Laisser une réponse