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Sur une route fédérale, dans l'Etat de Rio de Janeiro (Agência Brasil)

Comprendre le conflit des chauffeurs routiers au Brésil en quatre questions

Depuis lundi 21 mai, le Brésil est paralysé par une grève des chauffeurs routiers, qui protestent contre un prix de l'essence qui ne cesse de grimper. Tour d'horizon des questions que soulèvent ce mouvement social.

Pourquoi le prix de l'essence est-il aussi élevé aujourd'hui ?

Une pompe à essence à Teresópolis (Fernando Frazão/Agência Brasil)

Entre 2011 et 2015, c’était le gouvernement brésilien qui contrôlait le prix de l’essence et du diesel à la pompe dans le but notamment de gérer la hausse de l’inflation. Sauf que cela a fait perdre des dizaines de milliards de reais à Petrobras, qui s’est considérablement endetté, parfois obligé d’importer du carburant pour le revendre moins cher sur le territoire brésilien. En 2016, le gouvernement a cessé son ingérence et la compagnie pétrolière nationale a indexé ses tarifs à ceux du pétrole ainsi qu’aux variations du dollar. Mais, après deux ans de prix au plus bas, le baril de pétrole a connu une hausse discontinue depuis juin dernier. En décembre, le prix du litre d’essence a ainsi franchi la barre des 4 reais au Brésil et la hausse s’est poursuivie inlassablement - +46 % entre juillet et mai - jusqu’à la semaine dernière avec pas moins de cinq réajustements successifs dus aux nombreuses incertitudes mondiales, notamment concernant l’Iran et le Venezuela.

Et les choses ne risquent pas de s'arranger à court terme. Selon Walter de Vitto, du cabinet Tendências Consultoria, interrogé par la BBC Brasil, le scénario actuel devrait rester le même jusqu'à la fin de l'année, avec un baril de pétrole au prix élevé et un real poursuivant sa dévalorisation au moins jusqu'à l'élection présidentielle en raison des incertitudes qui lui sont liées.

Quel est l'impact du blocage des routes fédérales ?

Une station-service à Teresópolis (Fernando Frazão/Agência Brasil)

Les conséquences du mouvement des routiers ont commencé à se faire durement sentir à partir de la journée de jeudi 24 mai. A commencer par les stocks disponibles dans les stations-service des grandes villes brésiliennes : à Rio, 90 % d'entre elles n’avaient plus ni essence, ni gazole, ni éthanol jeudi soir, selon Metro. A Brasilia, 70 % des stations étaient dans cette situation.

Les transports publics ont été contraints d’assurer un service partiel : à Rio 57 % des bus ne circulaient plus dès jeudi et la CCR Barcas a annoncé la suspension de la liaison maritime Rio-Niteroi pour ce week-end. Le service des bus des bus BRT en voie propre a été suspendu jusqu'à nouvel ordre. A São Paulo, 43 % des bus ne circulaient plus et la collecte des ordures ménagères était suspendue. Dans les aéroports aussi, le kérosène manque : vendredi, l’aéroport international de la capitale brésilienne annonçait ne plus en avoir. Celui de Recife également était menacé. Samedi matin, 11 aéroports étaient sans combustible. Dimanche, c'était toujours le cas pour 10 d'entre eux.

Selon Agência Brasil, les effets du blocage ont également commencé à se faire sentir en milieu hospitalier. Pour la Confédération nationale de la santé, il manque dans certains hôpitaux de nombreux produits, dont du gaz médicinal, du matériel anesthésique, des médicaments. Selon la fédération brésilienne des hôpitaux, la situation était critique vendredi 25 mai à Curitiba, Fortaleza, João Pessoa, Recife et Rio de Janeiro. A Rio, le réseau des hôpitaux de l'Etat a annoncé que les opérations de chirurgie sans urgence ne seraient plus réalisées à partir de lundi 28 mai, faute de stocks de sang suffisants.

Le blocage a également des conséquences économiques. A commencer par une montée des prix : certaines stations auraient tenté de profiter de la pénurie d’essence pour faire remplir leurs caisses. Selon G1, le litre d’essence a ainsi atteint par endroits 9,99 reais. A São Paulo, les consommateurs confrontés à des prix abusifs du carburant peuvent déposer plainte auprès du Programme de protection des consommateurs (Procon), qui a créé un numéro d’appel exclusif pour répondre à la demande. Dans les supermarchés, dont l’approvisionnement a été lui aussi affecté par le blocage, on a ainsi vu le prix du kilo de tomates augmenter de 4 reais entre mercredi et jeudi à Rio, rapporte Metro. Le marché de gros de Rio n’avait accueilli qu’une cinquantaine de camions jeudi, contre 300 livraisons en temps normal.

Ce lundi 28 mai, c'est le secteur universitaire qui commençait à être touché. D'après Agência Brasil, toutes les universités fédérales et l'université de l'Etat de Rio ont annoncé qu'elles seraient fermées. Les universités fédérales ont décidé la suspension des cours dans au moins 12 Etats.

Où en sont les négociations avec les grévistes ?

Michel Temer, à droite (Alan Santos/PR)

Mercredi 23 mai, le gouvernement Temer a annoncé avoir conclu un premier accord avec une partie des représentants des chauffeurs routiers pour suspendre la grève pendant 15 jours. Brasilia a annoncé que l’État allait financer la baisse de 10 % sur le prix du diesel annoncée par Petrobras. La compagnie pétrolière a annoncé cette réduction de 10 % pendant 15 jours et le gouvernement doit subventionner ce rabais pendant 15 jours supplémentaires. Selon Agência Brasil, le gouvernement a également promis une prévisibilité mensuelle des prix du diesel jusqu’à la fin de l'année : Brasilia subventionnera chaque mois la différence de prix par rapport aux prix demandé par Petrobras.

Brasilia a par ailleurs promis de réduire à zéro un impôt, la contribution de l'intervention dans le domaine économique (Cide), jusqu’à fin 2018. Reste que l’accord en question n’a pas reçu un accueil unanime mercredi soir. Deux organisations, le Syndicat national des chauffeurs routiers et l'Association brésilienne des chauffeurs routiers, qui représentent 700.000 travailleurs, ont rejeté la proposition.

Tard dans la soirée de dimanche 27 mai, le gouvernement brésilien a publié au Journal officiel une série de mesures répondant aux attentes des chauffeurs routiers en grève depuis une semaine, selon UOL. Brasilia a ainsi accepté de réduire le prix du litre de diesel de 0,46 reais à la pompe pour 60 jours. Le gouvernement fédéral a également accepté, selon Agência Brasil, l’exemption des péages pour camions roulant à vide dans tout le pays, et l'instauration d'une politique de tarifs minimum pour le fret. Des concessions qui devraient suffire à assurer la fin de la grève, espère le gouvernement.

Comment le gouvernement compte-t-il débloquer les routes ?

Une autoroute près de Rio bloquée par les chauffeurs routiers (Tânia Rêgo/Agência Brasil)

A São Paulo, le maire, Bruno Covas, avait décrété vendredi 25 mai l’état d’urgence afin de pouvoir notamment réquisitionner des stocks d’essence des stations-service. Jeudi, la mairie avait obtenu de la justice une injonction lui permettant de faire appel aux forces de l'ordre pour mettre fin aux piquets de grève dans la région, mais ces dernières ont refusé de faire usage de la force, n'acceptant que l'escorte de camions-citerne, selon la Folha de S. Paulo.

Vendredi 25 mai, Michel Temer a autorisé le recours immédiat aux forces armées pour mettre fin au blocage des grands axes du pays par les chauffeurs routiers, selon Agência Brasil. « Nous n'allons pas permettre que la population puisse manquer de produits de première nécessité, que les hôpitaux n'aient pas de matériel pour sauver des vies et que les enfants ne puissent se rendre à l’école. Qui bloque les routes de façon radicale sera tenu responsable », a affirmé le président brésilien. Le ministre de la Défense, Joaquim Silva e Luna, a annoncé que la priorité serait donné au déblocage des raffineries et des aéroports, et que l'action des militaires serait « rapide et énergique ». Au cours du week-end, les forces de l'ordre sont intervenues dans au moins 11 Etats pour escorter des camions-citernes assurant la livraison de carburant, rapporte G1. Dimanche matin, la police routière fédérale annonçait que 625 barrages avaient été libérés par les forces de l’ordre, et que 554 étaient toujours en place. Ce lundi matin, il restait des barrages dans pas moins de 14 Etats, selon G1.

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