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Le duo sertanejo Fernando & Sorocaba (DR)

La question qui fâche : c’est pas bientôt fini, ce succès du sertanejo ?

 

Gustavo Alonso (DR)

Avec ses duos de voix bandonéantes et ses chanteurs qui cultivent parfois un douteux look de cowboy, il ne correspond pas tout à fait à l’image qu’on se fait de la musique brésilienne à l’extérieur du Brésil. Et pourtant, le sertanejo est aujourd’hui le genre musical le plus populaire du géant sud-américain. Parmi les 100 titres les plus diffusés sur les radios brésiliennes en 2017, 87 étaient des chansons de sertanejo, selon des données de Crowley Broadcast Analysis. S’agit-il d’une mode passagère au pays de la bossa, de la samba, du forro et de la MPB ? Pour Gustavo Alonso, historien et auteur du livre Cowboys do Asfalto, qui retrace l’histoire du sertanejo depuis ses origines, ce style musical est parti pour être installé durablement dans le paysage musical brésilien, comme il l'a expliqué à Bom Dia Brésil : «  Ça a commencé à exploser dans les années 1990, mais le premier succès du sertanejo remonte à 1982, avec la chanson Fio de cabelo, qui a été vendue à plus d’un million d’exemplaires. Il y a des cycles, mais l’audience du sertanejo ne cesse de grandir. »

A l’origine, de 1929 (date du premier enregistrement d’un disque de sertanejo) à 1950, on parlait de musique sertaneja, ou musique rurale, musique de l’intérieur, musique caipira. Et on l’écoutait surtout dans l’intérieur de São Paulo et dans les Etats proches (Minas Gerais, Goias, Mato Grosso do Sul, Parana). « Puis, dans les années 1950, on voit apparaître des influences mexicaines, argentines, paraguayennes dans la musique rurale brésilienne, observe Gustavo Alonso. Une partie de la critique s’est opposée à cette évolution, en pensant qu’il fallait préserver les racines de la musique rurale brésilienne : cela allait devenir la musique caipira, et le courant qui accepte la modernisation est devenu le sertanejo, qui va avancer dans l’incorporation d’éléments étrangers. »

Le sertanejo universitario, né avec Internet

Une des clefs du succès actuel du sertanejo réside dans sa capacité à intégrer de multiples influences musicales. « Des influences rock sont arrivées dans les années 1960, poursuit Gustavo Alonso. Dans les années 1980, c’est l’intégration du brega (qui vient du Nord du Brésil), puis arrivera la country, le forro. On mélange beaucoup de choses, c’est grâce à ça que le sertanejo s’est nationalisé dans les années 1990 et a commencé à être écouté dans l’ensemble du Brésil. » Illustration avec Ai Se Eu Te Pego, qui a permis à Michel Telo de connaître le succès hors des frontières du Brésil : « A l’origine, c’est un forro », affirme Gustavo Alonso.

Le courant le plus en vogue du moment, le sertanejo universitario, a émergé en 2005. « On ne sait pas trop comment il a pris ce nom. C’est probablement venu avec des duos composés d’étudiants ou qui chantaient pour un public étudiant, indique Gustavo Alonso. Ça illustre une évolution du Brésil avec l’expansion des universités à l’époque de Lula. Et c’est né avec Youtube, Facebook, Orkut. Les premiers disques n’étaient pas enregistrés chez les labels officiels. » L’essor du sertanejo universitario peut aussi s’expliquer par des caractéristiques différentes : « Il est dansable, très acoustique. Dans les textes, il a une poésie plus affirmative. Finies les chansons traditionnelles qui parlent de mélodrames, d’amour meurtri : on parle d’amour où ça va bien se passer, on parle de bonheur. »

Beaucoup d'amour, et parfois des questions sociales

Il arrive aussi que le sertanejo s’aventure sur des terrains moins romantiques. « On trouve aussi des chansons sur les questions sociales. Et aussi des chansons de soutien au gouvernement. A l’époque de la dictature militaire, il y avait beaucoup de chansons ufanistes, observe Gustavo Alonso. Mais aussi des chansons qui dénoncent les conditions de vie des plus pauvres. Même si la règle, ça reste l’amour, qu’il soit positif ou meurtri. »

Reste que l’hégémonie actuelle du sertanejo sur le marché musical brésilien a aussi ses détracteurs. « Je pense qu'il est contradictoire que nous ayons pris une route avec Jair Rodrigues, Elis, Tom, Pixinguinha, Pena Branca et Xavantinho, Racionais, Caetano, Gil, Tom Zé ... et tout à coup il y a un moment où tout le Brésil est obligé d'écouter et applaudir un seul genre musical », déclarait ainsi le rappeur pauliste Emicida à G1 en mai 2017. Le rockeur Nando Reis trouvait lui « les paroles des chansons sertanejas très peu développées » en 2015. Pour le site culturel Revista Bula, Rafael Theodor Teodoro est allé encore plus loin : « Les compositions sont représentatives de la pauvreté de vocabulaire des auteurs, mais aussi des interprètes. C'est un authentique mouvement circulaire dans lequel celui qui n'a rien à offrir intellectuellement nourrit de son art quelqu’un qui meurt déjà d’inanition cérébrale. » Rien que ça.

Critiques acerbes

Pour Gustavo Alonso, le sertanejo est depuis longtemps accompagné de critiques acerbes : « La production musicale a longtemps été concentrée dans le Sud-Est, de même que la critique musicale. Rio a été le dernier endroit où le sertanejo a percé, c’est révélateur, explique l’universitaire, lui-même originaire de Niteroi (Rio de Janeiro). Dans les années 1990, quand le sertanejo a commencé à prendre Rio d’assaut, beaucoup de Cariocas ont été surpris. Ils pensaient que c’était le fruit de l’industrie culturelle, un symbole de l’ère Fernando Collor, c’était accueilli avec des discours un peu apocalyptiques. » Mais on peut aussi s’intéresser à l’histoire récente du Brésil à travers le développement du sertanejo. « Le Brésil est de moins en moins samba, de moins en moins MPB, poursuit Gustavo Alonso. On peut être nostalgique, ou essayer de comprendre. Le sertanejo est une musique en partie banale, en partie commerciale, mais elle en dit beaucoup sur le Brésil actuel. Les caipiras trouvent le sertanejo trop urbain, mais il a accompagné l’urbanisation radicale et la modernisation de la société brésilienne à partir des années 1950. Le succès du sertanejo montre que les Brésiliens s’intéressent aujourd’hui à des choses qui peuvent être créées ailleurs qu’à Rio ou São Paulo. »

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