Il est de toutes les fêtes d’anniversaire, a ses boutiques spécialisées dans de nombreux shoppings et ne prend guère plus de 15 minutes montre en main à préparer : le brigadeiro occupe une place de choix au panthéon des desserts brésiliens. Difficile de ne pas succomber à son goût délicieusement sucré quand on arrive au Brésil. « Le brigadeiro, c’est très facile à faire, mais qu’est-ce que c’est bon », souligne ainsi Philippe Brye, pâtissier français installé à Rio depuis les années 1980.
Une boîte de lait concentré sucré qu’on réchauffe lentement avec un peu de chocolat en poudre, un peu de beurre ou de margarine et le tour est joué : les plus pressés dégusteront le brigadeiro dans sa version encore liquide, le brigadeiro de colher, les autres laisseront la préparation refroidir pour ensuite rouler de petites truffes. « Ces dernières étaient à l’origine une spécialité du Rio Grande do Sul, qu’on appelait negrinhos au début du XXe siècle dans le sud du Brésil », explique Marcia Zoladz, journaliste brésilienne et auteure de Brigadeiro e bolinhas (Publifolha). « Ensuite, Nestlé s’est implanté au Brésil et le lait concentré a commencé à supplanter la crème de lait dans la pâtisserie brésilienne. »
Le brigadier Eduardo Gomes, candidat malheureux à la présidentielle
Marcia Zoladz (DR).
C’est en 1945 que la truffe au lait concentré change de nom. Lors de l’élection présidentielle qui est organisée cette année-là, un des candidats, le brigadier Eduardo Gomes, en fait distribuer pendant sa campagne. L’histoire retiendra que le brigadier a perdu l’élection, mais que le nom du dessert est resté. « C’est un nom incroyable, un clin d’œil à la tradition militaire et à l’influence de l’armée sur les institutions brésiliennes », souligne Marcia Zoladz, qui voit dans le brigadeiro « un dessert très moderne. Une boîte de lait concentré donne 20 petits desserts. Ces petites portions correspondaient à une réelle demande dans un contexte de désintégration familiale, qui est survenue dans la deuxième moitié du XXe siècle au Brésil comme ailleurs. »
Depuis les années 1990-2000, le brigadeiro s’est lancé dans une montée en gamme, avec les versions gourmet « qui se sont réappropriées le langage d’une tradition pâtissière brésilienne très riche », note Marcia Zoladz. Difficile pourtant de ne pas être critique fasse à un dessert dont l’ingrédient de base est d’origine purement industrielle. « J’aime beaucoup le brigadeiro, c’est un dessert très amusant, une version industrialisée d’une ganache endurcie. On a tous besoin d’une certaine dose de sucre et les enfants adorent ça », affirme Marcia Zoladz. « Mais il faut reconnaître que les brigadeiros ont presque tous le même goût, celui du lait concentré. On ne peut pas ajuster les quantités de lait et de sucre, c’est le fabricant qui le fait. Je trouve que c’est un dessert pauvre, gastronomiquement limité. »
Le lait concentré sucré, c’est du lait, dont l’eau a été partiellement évaporée, et du sucre. Ça reste assez naturel. (Philippe Brye)
Philippe Brye montre davantage de mansuétude. Pour le pâtissier français, inutile de faire la fine bouche devant le lait concentré sucré : « Quand je mange un produit, je commence par le goûter. Et si ça me plaît, c’est ce qui compte, il ne faut pas avoir de préjugé. Je regarde les ingrédients et la façon dont c’est préparé dans un deuxième temps. En plus, le lait concentré sucré, c’est du lait, dont l’eau a été partiellement évaporée, et du sucre. Ça reste assez naturel, il n’y a rien de chimique, pas de conservateurs. Les Brésiliens en utilisent par exemple dans le pudim de leite, qui est l’équivalent des œufs au lait en France. Mais ici, avec du lait concentré sucré, je trouve ça encore meilleur. »
Reste de toute façon la possibilité de préparer un brigadeiro sans lait concentré sucré. « On peut utiliser des œufs, des algues, des gélatines, des maïzenas, ou simplement de la crème de lait », suggère Marcia Zoladz. A un détail près : « Il faudra cuisiner plus longtemps. »
