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(Flickr/LulaOficial)

Présidentielle au Brésil : les questions que posent toujours la candidature de Lula

Incarcéré depuis le 7 avril, mais large favori des sondages pour l’élection présidentielle brésilienne, dont le premier tour est prévu le 7 octobre. Lula (Parti des travailleurs - PT) a vu vendredi soir sa candidature rejetée par le Tribunal supérieur électoral (TSE). Pour autant, son parti a décidé de maintenir sa foi en lui et d'aller jusqu'au bout des recours possibles. Décryptage des suites de l'affaire Lula.

Lula peut-il encore être candidat ?

L'ancien président Lula, le 7 avril dernier (Agencia Brasil)

Au Brésil, en vertu de la loi de la Ficha limpa, votée alors que Lula était président, les personnes condamnées en appel sont inéligibles. En théorie, le leader du PT, qui a été condamné en janvier dernier en appel à 12 ans et 1 mois de prison pour corruption passive et blanchiment d’argent dans l’affaire du triplex de Guarujá, ne peut donc pas être candidat à la présidence de la République brésilienne. Sauf que cette inéligibilité n’a pas été prononcée automatiquement le jour de sa condamnation, d'où cette longue attente jusqu'à la décision du TSE.

Si le tribunal a rendu sa décision et donné dix jours au PT - jusqu'au 11 septembre - pour trouver un remplaçant à Lula, tout n'est cependant pas encore perdu pour l'ancien président. Décidé à aller jusqu'au bout des recours, le PT va ainsi en appeler au Tribunal suprême fédéral (STF), se basant de nouveau sur la recommandation du Comité des droits de l'homme des Nations unies visant à reconnaître les droits politiques et la candidature de Lula.

D'après Veja, le recours devant le STF se déroulera en deux étapes, la première étant déjà décisive. En effet, la Cour suprême déterminera d'abord si Lula peut continuer à être candidat jusqu'au bout de la procédure judiciaire - qui ne s'annonce pas de courte durée. Si c'est non, le PT n'aura plus le choix : il faudra lancer Fernando Haddad sinon la candidature du parti sera entièrement annulée. Si c'est oui, la candidature de Lula continuera son chemin jusqu'au bout et même si le STF n'a pas rendu sa décision, il pourra bien se présenter devant les électeurs le 7 octobre pour le premier tour du scrutin. S'il est élu dès le premier tour et que le STF décide a posteriori que sa candidature n'est pas valide, l'élection sera annulée et un nouvelle scrutin devra être organisé. En cas de second tour avec Lula parmi les deux premiers et qu'une telle décision intervient, c'est le troisième du premier tour qui prendra la place du candidat du PT. L'hebdomadaire estime que le STF pourrait néanmoins être influencé par le résultat des urnes, surtout si le chef de file du PT est plébiscité par les électeurs brésiliens.

Quoi qu'il arrive, le PT va jouer à quitte ou double s'il essaye de temporiser au maximum comme il le fait depuis le début du lancement de la candidature de Lula, car il est difficile de déterminer quand le STF rendra ses décisions - il n'est soumis à aucun délai - et cette stratégie pourrait très bien coûter au parti sa place dans l'élection. Fernando Haddad doit se rendre à Curitiba pour rencontrer Lula dans sa cellule ce lundi avant qu'une réunion de la direction du PT ne prenne une décision sur la suite de la marche à suivre. Mais, selon la BBC Brasil, les divisions règnent à la tête du parti...

En attendant, le TSE a interdit au PT de présenter l'ancien président comme candidat. Néanmoins, le parti ayant été autorisé à présenter sa propagande électorale télévisée et radiodiffusée, Lula peut y apparaître, mais comme simple soutien, soit 25 % du temps du spot (36 secondes). Le reste est désormais dévolu à Fernando Haddad, candidat du PT à la vice-présidence. Par ailleurs, plus aucun sondage incluant un scénario avec Lula candidat ne pourra être entrepris.

Quelle alternative pour le PT si la candidature de Lula n’est pas validée ?

Fernando Haddad (Agência Brasil)

Le PT a évidemment été obligé d’échafauder un plan B. Il est parvenu à s’adjoindre, comme c’est le cas depuis 1989, les forces du Parti communiste du Brésil (PCdoB). Mais cet accord n’a pas divulgué de la même façon par les deux partis.

Pour le PT, Fernando Haddad est officiellement le candidat à la vice-présidence aux côtés de Lula, dont il prendra la place de numéro un si ce dernier voit son inéligibilité confirmée par le STF. Et, ce n’est pas dit officiellement car le PT ne peut se résoudre à évoquer une non-candidature de Lula tant que tous les recours n’ont pas été épuisés, mais Manuela D'Ávila, qui était la candidate du PCdoB avant que son parti ne se retire de la course à la présidentielle, basculerait sur le ticket PT en position de candidate à la vice-présidence si tel était le cas.

Du côté du PCdoB, l’interprétation est quelque peu différente. Le petit parti a affirmé que, « quelles que soient les circonstances », avec Lula ou Fernando Haddad en numéro un, la candidate à la vice-présidence du ticket PT serait sa chef de file. Le PCdoB explique que Fernando Haddad a seulement été placé sur le ticket avec Lula pour pouvoir « donner une voix à l'orientation de l'ancien président jusqu'à ce que la stabilité juridique de (sa) candidature soit clarifiée ».

Manuela d'Ávila (Agência Brasil)

Si la position officielle de Manuela D'Ávila reste donc encore quelque peu ambiguë, le duo qu’elle forme avec Fernando Haddad pour faire campagne à travers le Brésil montre que le PT garde un minimum les pieds sur terre et est prêt à tourner la page Lula.

Pour autant, garder l'image de son chef de file le plus longtemps possible est vital car Fernando Haddad ne décolle toujours pas dans les sondages. Dans les deux dernières enquêtes en date, dévoilées fin août, l'ancien maire de Sao Paulo n'obtenait que 4 à 5 % des intentions de vote dans un scénario sans Lula. Ce dernier obtiendrait entre 37 et 39 % des voix.

Si Lula n'est pas candidat, quelles sont les perspectives pour le reste de la gauche ?

Ciro Gomes (Agência Brasil)

Elles ne sont pas forcément très bonnes malgré le peu d'engouement dans les sondages pour Fernando Haddad. Marina Silva (Rede Sustentabilidade), deuxième des intentions de vote du premier tour avec 12 à 16 % des deux derniers sondages, perd du terrain sur Ciro Gomes (Parti démocratique travailliste - PDT), qui récolterait entre 9 et 10 % des voix. Ce dernier, qui peut faire office de Lula bis, ne parvient néanmoins pas à récupérer les voix du PT qui, si elles ne vont pas à un autre candidat du parti de Lula, semblent largement se transformer en votes blancs ou nuls (11-16 % dans les scénarios avec Lula, 22-29 % sans Lula).

Marina Silva (José Cruz / Agência Brasil)

Mais la plupart des analystes politiques n'imaginent pas un second tour sans le PT. Pour l'éditorialiste de G1 Helio Gurovitz, « l'effet de la nomination du remplaçant de Lula promet d'être dévastateur non seulement pour Ciro Gomes, mais aussi pour Marina Silva », car Fernando Haddad « est le candidat avec le plus de chance de croître au point d'atteindre le second tour ». Le candidat du PDT était particulièrement dans le viseur de Lula, qui a réussi à l'isoler encore plus récemment en lui dérobant une précieuse alliance avec le Parti socialiste brésilien (PSB). Ce dernier affichera sa neutralité au premier tour de la présidentielle plutôt que de soutenir Ciro Gomes et lui offrir à la fois son électorat et son temps de propagande électorale à la télévision.

Pour sa part, Marina Silva, même mieux placée dans les sondages, devrait elle aussi souffrir de son isolement (alliance avec un seul parti, le Parti vert) et d'une visibilité de sa campagne dans les médias extrêmement réduite. Avec bien moins de moyens qu'en 2014 - où elle avait remplacé au pied levé Eduardo Campos, du PSB -, la candidate écologiste espère compter avec la cohérence de son discours, un électorat varié (particulièrement chez les femmes et les indécis) et un taux de rejet bien moins fort que la plupart des autres candidats majeurs.

Si Lula n’est pas candidat, qu’est-ce que cela change pour la droite et le centre ?

Jair Bolsonaro (Archives Agência Brasil)

Le premier à se réjouir d’une inéligibilité définitive de Lula sera sans aucun doute Jair Bolsonaro (Parti social libéral - PSL). Parce que le candidat d’extrême droite arrive largement en tête au premier tour dans les sondages sans Lula, avec en général plus de 20 % des intentions de vote. Et parce qu’au second tour, Lula apparaît comme le seul candidat partant avec une confortable avance face à Jair Bolsonaro : 50,1 % contre 26,4 %, selon une enquête MDA. Il n'aurait que quelques points de retard face à Marina Silva (Rede), Geraldo Alckmin (Parti de la social-démocratie brésilienne - PSDB) ou Ciro Gomes (PDT) au second tour.

Le candidat PSDB à la présidentielle Geraldo Alckmin (SECOM/Gov.de SP)

Ancien gouverneur de São Paulo, le tucano Geraldo Alckmin est celui que Lula semble considérer comme le principal adversaire du PT : leurs deux partis ont croisé le fer au second tour des six dernières élections présidentielles. Fort de la principale coalition des 13 candidats à cette présidentielle 2018 (celle du centrão, qui réunit les partis plus ou moins centristes DEM, PP, PR, PRB et Solidarité), Geraldo Alckmin voit sa cote commencer à remonter dans les sondages. Il passerait de 5 à 6 % des intentions de vote dans un scénario avec Lula à 7 à 9 % sans son adversaire de 2006. Mais la propagande électorale télévisée a commencé et pourrait bien aider le tucano qui dispose de 40 % du temps de passage à l'antenne.

Pour Henrique Meirelles, l’homme du Mouvement démocratique brésilien (MDB), parti du président Michel Temer, cette campagne s’annonce en revanche très compliquée : avec ou sans Lula, il n’obtient pour le moment que 1 à 2 % des intentions de vote.

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