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Ricardo Vilas (DR)

Ricardo Vilas : « Ma vie a toujours été comme ça, la musique et la politique »

Parmi les nombreux musiciens brésiliens qui se sont exilés en France durant la dictature, Ricardo Vilas est certainement l’un de ceux qui a eu l’histoire la plus rocambolesque. Alors qu’est sorti lundi son 27e album, Canto de Liberdade, l’auteur, compositeur et interprète de MPB, qui a travaillé avec Claude Nougaro, Bernard Lavilliers ou encore Maxime Le Forestier, confie à Bom Dia Brésil son incroyable destin.

Quel a été votre premier contact avec la France ?

Est-ce que vous croyez à la destinée ? Mon premier contact avec la France s’est fait grâce à ma grand-mère. Francophile, elle avait plein de disques français (Jacques Brel, Charles Aznavour, Georges Brassens…) que j’écoutais en boucle quand j’allais chez elle. Cela m’a donné un goût pour la culture française. J’ai suivi ensuite des cours de français à l’école puis à l’Alliance française. Quand je suis arrivé en France, en 1970, je savais ainsi parler et écrire français.

Comment vous êtes-vous retrouvé en exil en France ?

J’étais un jeune militant politique de 19 ans, avec un casier vierge et sans grande responsabilité au sein du groupe MR8 lors de mon interpellation (en mai 1969), mais il y a eu des échanges de coups de feu, donc cela a fait beaucoup de bruit. J’ai été condamné très vite et lorsque l’ambassadeur des Etats-Unis au Brésil a été enlevé peu après, j’ai été inclus dans la liste des quinze prisonniers politiques demandés en échange de sa libération, en compagnie d’autres personnalités importantes de la politique de l’époque, dont José Dirceu. Nous avons été envoyés au Mexique, mais nous ne nous y sentions pas vraiment en sécurité. La majorité du groupe a décidé d’aller à Cuba et on m’a suggéré d’aller en France pour que je puisse y établir des contacts. Mais je ne savais pas comment y aller car je n’avais aucun papier d’identité avec moi. J’ai rencontré alors un professeur de français d’origine égyptienne qui m’a dit d’aller faire une demande de visa au consulat de France et cela a fonctionné grâce à lui je pense.

Comment s’est déroulée votre arrivée en France ?

Au début, cela a été très difficile car il n’y avait pas d’accord d’asile politique entre la France et l’Amérique latine, il n’y avait pas encore beaucoup de Brésiliens, donc je n’étais pas considéré comme un réfugié, j’étais un apatride, je n’avais le droit à rien. Mon seul document était ma carte de séjour. C’est la Cimade qui m’a aidé à trouver un emploi de programmeur informatique. Les choses ont changé après le coup d’Etat au Chili (en 1973, ndr) où les exilés ont pu bénéficier des droits des réfugiés.

C’est en 1974 que Claude Nougaro  nous a « découverts ». D’un coup, tout s’est ouvert.

Comment a surgi le duo Teca & Ricardo, que vous avez formé avec votre compagne de l’époque, Teca Calazans ?

J’avais rencontré Teca au Brésil et elle m’a rejoint au Mexique avant que nous partions pour la France en janvier 1970. On avait chacun nos emplois, j’étudiais aussi l’économie en même temps, et on a commencé à faire de la musique à côté en 1972, jouant dans tous les bars de Paris. Et c’est en 1974 que Claude Nougaro  nous a « découverts ». D’un coup, tout s’est ouvert.

Comment s’est passée cette rencontre avec Claude Nougaro ?

Il fréquentait souvent le Discophage (rue des écoles, dans le 5e arrondissement, fermé en 1980, ndr) et un soir, on était en train de jouer. Il a adoré et on lui a donné notre premier disque, Musiques et chants du Brésil, qui venait de sortir. Quelques jours plus tard, il nous appelait pour nous dire : « Je veux que vous fassiez l’Olympia avec moi ». Il a également appelé Baden Powell pour faire ce très beau spectacle de deux heures et demie qui a beaucoup marqué je crois. A la fin, Yves Montand est venu nous voir et nous a dit : « Madame, j’ai beaucoup aimé votre voix, monsieur, j’ai beaucoup aimé votre musique. » C’était quelque chose ! Et ensuite, on a beaucoup tourné avec Nougaro dans de grandes salles et festivals jusqu’à fin 1975. Il a alors décidé de changer son spectacle et a pris Tânia Maria puis Les Etoiles (en 1977, ndr). Mais cela nous a ouvert les portes du show-business français et on a côtoyé tous les grands artistes français de l’époque.

Vous viviez en France, mais votre proposition musicale était profondément brésilienne…

Oui, elle était très brésilienne parce que le Brésil nous manquait, il y avait dans notre musique cette nostalgie du Brésil perdu. Au début, c’était difficile, on défendait un répertoire et un genre, plutôt d’auteur, du Nordeste, alors que les gens ne voulaient entendre que de la samba ou de la bossa nova. Après, cela a changé grâce à Claude Nougaro, auprès du public comme des journalistes. En 1979, je suis rentré au Brésil grâce à l’amnistie et quand je suis revenu en France, volontairement cette fois, en 1989, j’étais alors beaucoup plus ouvert sur les rencontres, sur tout ce que la France peut offrir au niveau de la diversité culturelle. Mais la musique brésilienne n’a jamais vraiment été à la mode en France, sauf à certains moments, quand il y a eu La Lambada par exemple. De manière générale, elle a un public spécifique. Autrement, pour qu’elle marche, il faut qu’elle ait un passeur : Bernard Lavilliers, Georges Moustaki, Pierre Barouh, Claude Nougaro, Nicoletta, Didier Sustrac… C’est à travers eux qu’elle peut atteindre le grand public.

La musique brésilienne les a inspirés et continue d’inspirer des artistes français, mais est-ce que des éléments musicaux français ont pu inspirer des artistes brésiliens ?

Il y a eu une présence de la musique populaire française (Sylvie Vartan, Johnny Hallyday, Salvatore Adamo, Alain Barrière…) et italienne aussi au Brésil dans les années 1960, mais ce n’est pas un genre musical qui aurait pu avoir une influence en soi. Contrairement à la musique classique française (Maurice Ravel, Claude Debussy…). Et aujourd’hui, dans la musique actuelle, il y a une circulation mondiale de genres musicaux, mais rien de spécifiquement français. Personnellement, j’ai eu beaucoup de contact avec des musiciens antillais et africains, mais avec les musiciens français, nous jouions de la musique brésilienne. Autrement, j’ai enregistré moi-même quelques textes en français, mais il y a eu une réaction très négative, je me faisais descendre à chaque fois, les critiques disaient que je faisais de la « variétoche », que je n’étais plus brésilien, que je ne savais pas écrire en français, etc. : « Pourquoi il se met à faire de la chanson française ? »

Est-ce que des Brésiliens ont pu mal prendre cette appropriation de la musique brésilienne par des artistes français, notamment dans les années 1970 ?

Comme j’ai vécu en France, je comprends certains codes, mais il y a eu des reprises de chansons comme Qui c’est celui-là de Pierre Vassiliu ou Fio Maravilha de Nicoletta, dont les paroles françaises, drôles ou bizarres, n’ont rien à voir avec l’originale. Ils ne se donnaient pas la peine de comprendre les paroles alors ils ont pris les choses de manière eurocentriste. C’est certain que c’est différent donc, mais cela a changé. Avant, les musiciens français ne maîtrisaient pas du tout le langage, mais désormais, il y en a d’excellents qui jouent de la musique brésilienne, comme d’autres musiques d’ailleurs.

Dans les années 1970, de nombreux autres exilés politiques brésiliens sont arrivés en France. Avez-vous continué votre militantisme sur place ?

Oui, ma vie a toujours été comme ça : la musique et la politique. Je faisais partie du comité Brésil Amnistie, on dénonçait la torture, etc. J’ai connu à l’époque Rémy Kolpa Kopoul, qui était de la gauche prolétarienne. Je me rappelle que lors d’une réunion avec des militants de gauche français et brésiliens, la gauche prolétarienne avait proposé de faire exploser le trophée de la Coupe du monde de football qui allait être présenté en France. Mais elle était détenue par le Brésil alors nous, les Brésiliens, on leur a dit : « Non, mais ça va pas, notre coupe, pas du tout ! » Et les Français ne comprenaient pas pourquoi !

Comment s’est passé votre retour au Brésil en 1979 ?

C’était l’été de l’amnistie, tous les réfugiés sont revenus, c’était de très belle retrouvailles. Musicalement, nous n’étions pas connus au Brésil avec Teca car nos disques (cinq au total enregistrés en France, ndr) étaient interdits, mais toutes les maisons de disques nous voulaient. Nous avons sorti deux disques ici avec EMI et cela a été un gros succès. Nous avons tourné au Brésil et le duo a duré un an de plus, mais nous avons arrêté ensuite parce qu’on en avait un peu marre, cela ne marchait plus entre nous deux, chacun avait envie de faire son chemin. Notre second disque brésilien, Eu não sou dois (1981), était un disque d’adieu, avec une orange coupée en deux sur la pochette. Ensuite, j’ai commencé ma carrière solo et travaillé pour TV Globo (composition de séries et novelas, ndr).

La France reste mon deuxième pays, je ne pourrais vivre ni sans Paris ni sans Rio.

Avant de revenir en France donc…

En 1988, TV Globo a renvoyé tout le département musical, dont je faisais partie. La même année, je suis venu en France pour une tournée d’été et le producteur m’a dit qu’il fallait que je revienne l’année suivante pour une saison entière. Comme je n’avais pas de carte de séjour, j’ai fait une demande de visa étudiant d’un an. Mais là encore, la destinée, car, ayant des enfants de nationalité française, ils m’ont donné directement une carte de séjour de dix ans ! Ces années-là, cela marchait très bien pour la musique brésilienne en France, La Lambada nous avait ouvert le chemin et j’ai sorti Musica Mestiça, enregistré au Brésil. Je suis ensuite resté jusqu’en 2008, y faisant notamment un master puis un doctorat en anthropologie obtenu en 2014.

Pourquoi être rentré de nouveau au Brésil ?

J’ai entendu parler de la création de TV Brasil en 2007 et je les ai rencontrés quand je suis venu enregistrer le DVD de mes 40 ans de carrière au Théâtre de la Maison de France de Rio, leur proposant mes services. Ma femme, qui est française, avait envie de vivre au Brésil alors nous sommes venus. Mais la France reste mon deuxième pays, je ne pourrais vivre ni sans Paris ni sans Rio.

Parlez-nous enfin de ce nouvel album, Canto de Liberdade, qui vient de sortir ?

Couverture de l'album « Canto de Liberdade », de Ricardo Vilas

Je célèbre cette année mes 50 ans de carrière. J’ai commencé à une époque où le Brésil était une dictature militaire et la musique était un forum d’expression qui pouvait se permettre de dire des choses que l’on ne pouvait écrire par ailleurs. La chanson brésilienne a tout de même souffert d’une grande répression, mais elle a donné en même temps des signes d’une grande vitalité. Les grands noms de la musique populaire brésilienne (Chico Buarque, Gilberto Gil…) sont apparus à ce moment-là, c’était une très grande époque, avec des chansons engagées. Donc cet album reprend cette trajectoire, mon parcours, entre musique, politique et social, qui a aussi un lien avec l’actualité, avec six morceaux qui sont devenus des classiques de la musique brésilienne (Ponteio, Apesar de você, Aquele abraço, O Morro não tem vez, Opinião…) et six compositions personnelles (deux reprises et six inédites). Et on enregistrera un DVD du spectacle de mes 50 ans de carrière, qui aura lieu le 15 octobre au Théâtre de la Maison de France.

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