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Lula dans le Minas Gerais, en octobre 2017 (Flickr/MidiaNinja)

Six questions pour comprendre l'affaire Lula

L'incarcération samedi à Curitiba de Lula n'a laissé personne indifférent au Brésil. Dans un climat délétère et parfois irrationnel, ses partisans crient à l'injustice, ses opposants crient victoire. Bom Dia Brésil a voulu faire le tour des questions qui accompagnent la condamnation de l'ancien président. Pour y voir plus clair et s'en tenir aux faits.

Où sont les preuves contre Lula ?

Le 4 avril à Brasilia (Flickr/PCdoB)

Lula a été condamné en appel à 12 ans et 1 mois de prison pour corruption passive et blanchiment d’argent. Le juge Sergio Moro l’accuse d’avoir bénéficié d’un appartement, le désormais célèbre triplex de Guaruja (São Paulo), mis à disposition par OAS, une entreprise de BTP qui aurait remporté certains marchés publics chez Petrobras par l’entremise de Lula. Mais cadê as provas ? (Où sont les preuves ?) Cette question est devenue un slogan pour les partisans de l’ancien président, pour qui Lula est innocent par le simple fait qu’aucun document au nom de Lula n’atteste qu’il est le propriétaire du triplex. Et parce que la pièce centrale dans l’enquête du juge Sergio Moro est le témoignage d’un repenti, Leo Pinheiro. Ce dernier, ancien président d’OAS, avait été condamné à 10 ans et 8 mois de prison pour corruption passive. Une peine réduite à 3 ans et 6 mois de prison en janvier dernier, en raison de sa collaboration avec la justice dans le cadre d’une delação premiada (délation récompensée).

Lors du jugement en appel de Lula, le rapporteur João Pedro Gebran Neto a rappelé l’ensemble des éléments à charge qui avaient été réunis contre l’ancien président brésilien. Pour le juge, ces éléments vont au-delà du doute raisonnable et montrent que le triplex était destiné à Lula comme avantage. Voici les principaux éléments découverts par les enquêteurs :

  • Outre la déposition de Leo Pinheiro, les enquêteurs ont mis la main sur une série de messages sur son téléphone mobile, dans lesquels il évoque « Fabio », qui serait le fils de Lula, ainsi que les projets du « chef » et de la « madame », qui seraient Lula et son épouse Marisa Leticia.
  • Un cadre dirigeant d’OAS, Agenor Franklin, a confirmé le paiement de pots-de-vin pour contourner la concurrence et dit avoir entendu que le triplex serait débité du compte de pots-de-vin du Parti des travailleurs (PT).
  • Des documents numérisés sur l’appartement ont été trouvés, notamment au domicile de Lula.
  • Des employés d’OAS et d’entreprises recrutées pour la rénovation de l’appartement ont témoigné de cette rénovation et de visites de Lula et Marisa Leticia. Mariuza Aparecida da Silva Marques, ingénieure d’OAS, a ainsi déclaré avoir accompagné dans l’appartement Marisa et son fils Fabio en août 2014.

« Lula a été reconnu coupable de recevoir ce qu'il n'a pas reçu et de blanchir de l'argent qu'il n'a pas reçu », résumait le juriste Afrânio Silva Jardim pour El Pais Brasil en janvier dernier. Mais pour Eliana Calmon, ancienne juge du Tribunal supérieur de justice, « ce qui n'existe pas, c'est l'acte de l'appartement au nom de Lula. Mais il y a des preuves solides et des preuves circonstancielles ».

Quelles sont les autres affaires dans lesquelles Lula est impliqué ?

Guaruja, où se situe le triplex pour lequel Lula a été condamné (Capture d'écran Globo)

La peine de 12 ans et 1 mois que Lula a commencé à accomplir samedi 7 avril correspond à la condamnation pour une seule affaire : celle du triplex de Guaruja, associée à un détournement de fonds de 2,4 millions de reais, lié au scandale de Petrobras. Mais l’ancien président devra également faire face à six autres procès et deux dénonciations :

  • Deux procès en cours qui seront jugés par Sergio Moro, à Curitiba : l’un pour corruption et blanchiment d’argent dans l’affaire du sitio d’Atibaia, maison de campagne de Lula, dont les travaux et les meubles auraient été payés par OAS et Odebrecht pour obtenir des contrats avec Petrobras. L’autre pour avoir reçu des biens immobiliers par Odebrecht pour les mêmes motifs.
  • Quatre procès qui seront jugés à Brasilia : tentative d’achat du silence de Nestor Cerveró, ancien directeur du secteur international de Petrobras, qui venait de conclure une delação premiada ; avoir favorisé Odebrecht pour obtenir des financements de plusieurs millions auprès de la BNDES (banque de développement national) en échange de conférences rémunérées ; négociations illégales dans l’achat d’avions de chasse suédois de l’entreprise Saab et maintien de bénéfices fiscaux à l’entreprise en échange de 2,5 millions de reais, versés sur le compte d’une entreprise de Luis Claudio Lula da Silva, fils du leader de gauche ; enfin avoir reçu des pots-de-vin d’environ 6 millions de reais pour prolonger de cinq ans les avantages fiscaux accordés à des entreprises du secteur automobile.
  • Deux dénonciations du procureur général de la République, Rodrigo Janot : intégration d’une organisation criminelle, corruption et blanchiment d’argent aux côtés de Dilma Rousseff et d’autres membres du PT, des délits commis entre 2002 et 2016, pour un total estimé à 1,485 milliard de reais ; obstruction à la justice de Lula et Dilma Rousseff, lorsque l’ancienne présidente a tenté en 2016 de le nommer Premier ministre (lire ci-dessous).

Les méthodes du juge Sérgio Moro vont-elles trop loin ?

Sérgio Moro (Agência Brasil)

Héraut de la lutte anticorruption au Brésil ou suppôt d’une droite brésilienne qui a décidé d’évincer le PT de l’ancien président Lula du pouvoir ? Le juge Sérgio Moro a ses partisans et ses détracteurs. Âgé de 45 ans, originaire de Maringá (Paraná), il est juge fédéral depuis 1996 et est devenu avec l’opération Lava Jato une figure incontournable de l’actualité juridique et politique brésilienne.

La clef de voûte du système Sérgio Moro ? Des méthodes particulières qui lui valent d’impressionnants succès, mais aussi une volée de critiques. Sérgio Moro use et abuse ainsi de la delação premiada (délation récompensée), qui permet à des personnes déjà condamnées d’obtenir des remises de peine en échange d'une collaboration avec la justice. Il s’inspire aussi de l’opération Mains propres, réalisée en Italie dans les années 1990, pour exercer une forte pression psychologique sur les suspects : il est parfois critiqué pour recourir un peu trop facilement à la prison préventive. « Son comportement n'est pas celui d'un magistrat, son comportement est celui d'un accusateur », soulignait ainsi en juillet dernier le juriste Celso Antônio Bandeira de Mello. Autre méthode controversée utilisée par Sérgio Moro pour faire avancer ses enquêtes : la fuite d’informations. La diffusion en 2016 d’une conversation téléphonique entre la présidente Dilma Rousseff et Lula à propos d’une nomination de ce dernier au gouvernement en est l’exemple le plus connu.

Reste que dans la vaste enquête sur le réseau de corruption impliquant les géants du pétrole Petrobras et du BTP Odebrecht, les méthodes de Sérgio Moro et son équipe ont mis au jour le détournement de 42,8 milliards de reais et permis la condamnation de 188 personnes.

Une lutte anticorruption partisane ?

L'ancien gouverneur de Rio de Janeiro Sérgio Cabral (Agência Brasil)

Le PT dénonce régulièrement l’acharnement judiciaire dont il serait victime à travers l’opération Lava Jato. Outre Lula, les anciens ministres (PT) Antonio Palocci et José Dirceu ont été respectivement condamnés à 12 ans et 30 ans de prison pour corruption. Mais certains observateurs y voient, plus qu’un acharnement, un effet pervers du foro privilegiado, qui permet à des élus comme Michel Temer ou Aécio Neves (lire ci-dessous) de bénéficier d’une juridiction d’exception beaucoup plus lente.

Reste que depuis le lancement de l’opération anticorruption, des hommes politiques de tout bord ont été pris dans les filets de la justice. Le député fédéral et leader du Parti progressiste (PP), Paulo Maluf, a ainsi été condamné à 7 ans et 9 mois de prison. Et plusieurs membres du MDB (ex-PMDB), parti du président Michel Temer, ont connu le même sort. Eduardo Cunha, ancien président (MDB) de la Chambres des députés, a été condamné en appel à 14 ans et 6 mois de prison en novembre dernier. Quant à Sérgio Cabral, ancien gouverneur (MDB) de l'Etat de Rio de Janeiro, il a lui été condamné dans cinq procès différents, dont un instruit par Sérgio Moro, à des peines cumulées de 100 ans de prison.

Pourquoi la justice semble-t-elle plus clémente avec Michel Temer et Aécio Neves ?

Le sénateur Aecio Neves (Pozzebom/Agência Brasil)

Dans les attaques concernant la « partialité » de la justice brésilienne, les noms du président de la République, Michel Temer et du sénateur du Minas Gerais Aécio Neves, sur lesquels pèsent de nombreuses accusations de corruption, sont très fréquemment cités. Alors pourquoi ne sont-ils pas eux aussi inquiétés ? La réponse tient en deux mots : « foro privilegiado », entendez par là juridiction d’exception, réservée aux responsables politiques en exercice. Ceux-ci ne peuvent être jugés que par la Cour suprême (STF) et à l’heure actuelle, le procès d’Aécio Neves est toujours en cours. Quant à Michel Temer, la dénonciation pour corruption passive a été rejetée par deux fois par la Chambre des députés et n’a donc pas pu être jugée par le STF.

Toutefois, lorsqu’il ne sera plus à la tête du pays, l'actuel président brésilien perdra le bénéfice de ce foro privilegiado et devra faire face aux accusations. Tout comme cela a été le cas pour Lula, qui aurait pu bénéficier plus longuement de cette juridiction d’exception lorsque Dilma Rousseff a souhaité le nommer chef de cabinet et quasi-Premier ministre en 2016. Cette nomination avait cependant été suspendue par Gilmar Mendes, juge du STF, qui y voyait une tentative d’entrave à la justice de la part de la présidente de l’époque.

Lula peut-il tout de même se présenter à l'élection présidentielle ?

Si Lula n'est pas candidat, Fernando Haddad pourrait le remplacer (Agência Brasil)

Lula était avant son emprisonnement largement en tête dans les sondages pour l'élection présidentielle. La question est donc de savoir s’il est toujours possible pour lui de se présenter. Contactés par la revue Istoé, différents avocats spécialisés dans le domaine électoral affirment que même derrière les barreaux, sans condamnation définitive, le leader de la gauche « conserve ses droits politiques, permettant de déposer sa candidature » auprès du Tribunal supérieur électoral (TSE) jusqu’au 15 août. D’un point de vue légal, sur la base de la loi Ficha Limpa (« registre propre ») rendant inéligible toute personne condamnée en deuxième instance, il ne peut en théorie pas être élu. Mais, dans les faits, ce sera au TSE de statuer sur la légalité de sa candidature. Et dans ce cas, il existe plusieurs hypothèses :

  • Si le TSE rend sa décision avant le 15 août, Lula ne pourra pas être considéré comme candidat.
  • Si elle est connue au plus tard au 17 septembre, son nom sera inscrit sur les urnes électroniques. Les votes qu’il aura recueilli seront cependant annulés.
  • En revanche, si le STF n’a pas encore statué au 17 septembre, Lula pourra se présenter et participer normalement aux élections. S’il se classe entre les deux premiers au premier tour, mais que la décision du TSE tombe avant le second tour, ses votes seront annulés et ce sera alors le candidat arrivé troisième qui se rendra au second tour. Cependant, s’il participe au second tour et le remporte, la justice électorale peut décider d’invalider le résultat. Auquel cas, le président de la Chambre des députés serait à la tête du pays durant 90 jours jusqu’à ce que soient réorganisée une nouvelle élection.
  • Enfin, Lula pourrait aussi tenter de faire annuler son inéligibilité en déposant un recours auprès du Tribunal supérieur de justice ou même de la Cour Suprême.

Si d’après l’Estadão, il aurait déclaré à ses proches ne plus être en course pour les élections, Alexandre Padilha, le vice-président du PT, n’est pas allé dans ce sens. Il a déclaré samedi 7 avril à la BBC Brasil que « ce ne sera pas le PT qui va retirer Lula des élections. Il continuera à être notre candidat, emprisonné ou non ». Si jamais la candidature de l’ancien président était impossible, le PT pourrait alors présenter un autre candidat : Fernando Haddad (ancien maire de São Paulo) et Jacques Wagner (ancien ministre et gouverneur de Bahia) semblent être actuellement les mieux positionnés.

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