Dimanche soir s’envolait en fumée le Musée National de Rio. Inauguré il y a tout juste 200 ans, il abritait une collection de 20 millions d'objets, parmi lesquels des pièces provenant d'Egypte, de l'antiquité gréco-romaine, mais aussi Luzia, le plus ancien fossile humain découvert en Amérique du Sud ou encore le squelette d'un dinosaure provenant du Minas Gerais. Selon la Folha de S. Paulo, la vice-directrice du musée, Cristiana Serejo, aurait annoncé une destruction d'au moins 90 % des collections exposées.
La nouvelle a eu un fort retentissement au Brésil ainsi que dans le monde entier, et une indignation générale s’est manifestée face à la destruction d'une telle part de la mémoire historique du pays. Contacté par Bom Dia Brésil, Andrey Rosenthal Schlee, directeur du Patrimoine matériel de l'Institut du patrimoine historique et artistique national (Iphan), a déploré « la perte inestimable » causée par l'incendie du Musée National « pour l'histoire du Brésil, mais aussi la perte d'une partie de la mémoire concernant l’évolution de l’homme sur la planète », n'hésitant pas à considérer qu'il s'agissait d'une « réelle tragédie pour le patrimoine brésilien ».
De cruels manques de moyens financiers
Rafael Bokor, passionné du patrimoine carioca et responsable des pages Facebook et Instagram Rio - Casas & Predios antigos, nous explique que « cet incendie et ses conséquence symbolisent la précarité de la culture gérée par les institutions publiques dans notre pays ». « Le manque de budgets accordés à la culture transforme certains musées anciens en des lieux inadaptés à recevoir des visiteurs, mais aussi à stocker les oeuvres » précise-t-il, avant de se demander comment il était possible que ce genre de lieux n'ait pas été équipé de la moindre sécurité anti-incendie. Le Musée National n'est par ailleurs pas la première institution culturelle brésilienne à être victime d'un incendie : on peut par exemple rappeler les cas récents, à São Paulo, du Théâtre Cultura Artística en 2008, d'une partie de l'Institut Butantan en 2010, du musée de la Langue portugaise en 2015 et de la Cinémathèque brésilienne en 2016.
C'est donc une grande partie du patrimoine brésilien qui est en péril. Et l'on peut trouver deux explications à ces incidents à répétition, d'après Andrey Rosenthal Schlee : « Une absence de culture de la conservation, mais aussi une absence de ressources financières et de personnel. Par exemple, on a su que pour un musée aussi grand que le Musée National, il n’y avait que trois à six gardes par nuit ». Les faibles budgets alloués à la conservation du patrimoine n'ont en effet pas manqué de faire parler. Le directeur du Patrimoine matériel de l'Iphan révèle que son institut s'est vu octroyer en 2017 quelque 18 millions de reais pour mener des actions. « Si l'on doit par exemple procéder à une restauration d'une certaine ampleur, l'intégralité de ce budget pourrait être engloutie par les travaux à effectuer dans un seul bâtiment », révèle-t-il. Un budget qui a par ailleurs chuté au cours des dernières années et incite « à conclure des partenariats avec des entités publiques et privées, mais aussi des banques » pour parvenir à remettre ou maintenir en état plus de bâtiments.
Une nécessaire conscientisation des Brésiliens
« Ce qui s’est passé n’est pas une surprise, déclare Andrey Rosenthal Schlee. Le patrimoine culturel n’est clairement pas une question prioritaire pour l’Etat, quels que soient les partis politiques ». Rafael Bokor estime également que le personnel politique a sa part de responsabilité dans la catastrophe : « Le personnel des musées investit pourtant beaucoup d'énergie pour pallier le manque d'investissement du gouvernement. Mais les hommes politiques sont bien peu nombreux à promouvoir la culture ». BBC Brasil a ainsi calculé que sur les huit premiers mois de 2018, le Musée National avait dépensé 268.400 reais, une somme équivalente aux dépenses du Congrès en environ 15 minutes, selon des données recueillies par l'ONG Contas abertas, qui surveille les dépenses du gouvernement.
Outre le manque d'investissement des divers gouvernements, c'est aussi le manque d'intérêt pour leur patrimoine des propres Brésiliens qui est également pointé du doigt. BBC Brasil relève ainsi qu'en 2017, les Brésiliens ont été 289.000 à visiter le musée du Louvre à Paris, alors qu'au cours de la même période, ils n'ont été que 192.000 à visiter le Musée National de Rio. « Il ne faut pas jeter la faute que sur les hommes politiques. Les Brésiliens qui ne fréquentent pas les musées et lieux de culture ont également leur part de responsabilité. Je fréquente beaucoup de musées et la plupart du temps, ils sont presque vides... » regrette Rafael Bokor. Une opinion partagée par Andrey Rosenthal Schlee : pour lui, il faut « réveiller la population brésilienne, c’est un vrai défi », mais il regrette que « le prix à payer avec cette tragédie pour la faire réagir soit si lourd à payer ».