Ancien cadre dirigeant d’une grande entreprise française au Brésil, Christian Pouillaude a vécu, travaillé, voyagé au Brésil depuis plus de 40 ans. Passionné de musique brésilienne (au point de collaborer avec Radio Latina) et de tout ce qui touche à son pays d’adoption, il vit aujourd’hui dans la ville de son épouse, Rio de Janeiro, et collabore avec Bom Dia Brésil à travers une chronique mensuelle intitulée Palabres. Palabres, car on ne peut pas comprendre le Brésil sans saisir toutes les nuances de certains mots du vocabulaire brésilien. Palabres, car ce sont des mots qui prêtent à la réflexion et à la discussion. Le cinquième volet de cette chronique se penche sur le foro privilegiado/juridiction d'exception. Vous pouvez la découvrir en version podcast ou simplement la lire ci-dessous.
La plupart des démocraties prévoient dans leur constitution une juridiction spécifique pour les responsables politiques de l’exécutif en exercice. On cherche d’ailleurs plus à protéger les fonctions que les individus. Ça peut se comprendre. En France, il existe la Cour de justice de la République, réservée aux ministres pour des faits survenus dans l’exercice de leur fonction.
Au Brésil, ce régime de juridiction d’exception (appelé foro privilegiado) existe aussi. Sauf qu’il a sérieusement dérapé au fil du temps ! Pour commencer, il a été étendu à de nombreux responsables, non seulement de l’exécutif mais aussi du législatif et du judiciaire. Il y aurait plus de 22.000 personnes qui ne relèvent donc pas de la justice ordinaire mais d’une justice d’un niveau supérieur. Les députés et sénateurs par exemple ne peuvent être jugés que par la Cour Suprême (STF). La deuxième dérive a fait que, peu à peu, ce ne furent plus les fonctions qui étaient ainsi protégées mais bien les personnes, en particulier pour des faits antérieurs n’ayant rien à voir avec la fonction politique. On comprend vite pourquoi ce foro privilegiado est devenu le parfait symbole du formidable système d’auto-impunité que les hommes politiques brésiliens ont mis en place depuis le retour à la démocratie.
Une cour suprême encombrée
Vous me direz : « Mais ils n’échappent pas à la justice, seulement à des tribunaux de première instance, pas toujours très professionnels ni exemplaires. » Certes, mais les instances supérieures ne font pas leur travail : c’est la troisième dérive du système. Le cas de la Cour Suprême est simplement consternant : les instructions et les procès, quand il y en a, traînent des années, jusqu’à souvent arriver à prescription. La Cour est aussi extrêmement clémente : elle n’a pratiquement jamais condamné personne ces dernières décennies ! Rappelons que ses membres sont nommés par le Président…Bref, c’est la tranquillité assurée pour les politiques.
Justice à deux vitesses
Récemment l'opération Lava-Jato a mis en pleine lumière cette justice à deux vitesses. Tandis que les hommes politiques n’exerçant plus de fonctions (comme par exemple l’ex-Président Lula) relevaient de la justice de première instance de Curitiba, qui a jugé et condamné rapidement et efficacement, de nombreux députés et sénateurs en exercice impliqués dans le Lava-Jato ont vu leur dossier être déféré à la Cour Suprême, qui instruit… depuis plus de trois ans. Ça risque de durer encore bien longtemps car du coup le STF est totalement encombré !
Face à ce scandale, on parle d’une limitation de ce foro privilegiado. Mais ce sont les députés et sénateurs eux-mêmes qui devront la décider ! Et aujourd’hui, ils ont plutôt en tête leur réélection pour conserver leur protection juridique et éviter de tomber dans les pattes de ces « petits juges » de première instance de Monsieur Tout-le-Monde !