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Luana Génot (Alex Cassiano / DR)

Luana Génot : « Le défi est que les Brésiliens réfléchissent au-delà de la Journée de la conscience noire »

« Oui à l’égalité raciale ». Le slogan de Luana Génot n’arrête pas de résonner en ce mois de novembre dédié aux inégalités raciales, avec en point d’orgue ce lundi, la Journée de la conscience noire. Bom Dia Brésil a rencontré à cette occasion la fondatrice de l’Instituto Identidades do Brasil (ID_BR), consacré depuis l’an dernier à la promotion des minorités au sein des entreprises.

Vous avez été mannequin avant d'entreprendre des études de publicité et marketing, comment en êtes-vous arrivée à créer l’ID_BR ?

C’est un travail que je développe depuis 2013, recherchant des modèles de discrimination positive. Au départ, je ne m’étais pas focalisée sur le secteur privé, mais je me suis rendu compte qu’il y avait de nombreux étudiants comme moi, boursiers ou ayant bénéficié des quotas, qui n’arrivaient pas à s’intégrer dans le monde du travail de manière effective, mais aussi profonde, sans avoir la possibilité de pouvoir accéder à des promotions au sein des entreprises. J’ai moi-même travaillé pour une multinationale de cosmétiques et j’ai constaté que je n’aurais jamais pu atteindre un poste de responsabilité car aucune femme noire n’y avait encore jamais été promue. D’où la création de cet institut pour travailler sur ces questions. Aujourd’hui, nous avons trois piliers : éducation (lier des étudiants issus de projets sociaux et des entreprises), consultation auprès des entreprises (formation sur la thématique raciale) et événements tout au long de l’année pour mettre en lumière le sujet des inégalités raciales (forum, dîner de bienfaisance, course à pied…).

Ce lundi, c’est donc la Journée de la conscience noire. Pensez-vous qu’elle a un poids suffisant pour éveiller les consciences sachant qu’il s’agit aussi d’un jour férié, ce qui pourrait la détourner de son but originel ?

Je suis en faveur de cet agenda parce qu’il s’agit d’une conquête politique et c’est bien pour cela que je suis ici en train de parler avec vous. Certes, on aimerait pouvoir en parler autant toute l’année, mais on fait avec ce qu’on a, même si ce n’est pas l’idéal. Le défi est que les personnes réfléchissent effectivement au-delà de cette journée. Le gouvernement et les médias pourraient aider en cela en communiquant beaucoup plus sur cet événement pour qu’il devienne aussi important que le 7 septembre (célébration de l’indépendance du Brésil, ndr) ou le Nouvel An. Evidemment, dans un monde idéal, nous n’aurions besoin ni de quotas, ni de cette journée, mais à l’heure actuelle, elle est nécessaire.

Cette Journée s’adresse à tous les Brésiliens, mais le message est-il le même en fonction de leur couleur de peau ?

Non, il y a bien deux messages. Pour les noirs, il a fallu construire cette conscience au fil du temps. Dans mon cas par exemple, cela n’a pas été automatique, je ne suis pas née avec. Jusqu’à l’âge de dix ans, je me dessinais blonde avec des yeux bleus en raison des images que je recevais, dont l’inspiration était blanche. C’est en découvrant des références noires variées que j’ai pu me donner cette mission, cette orientation professionnelle. Tout cela dormait en moi. Ainsi, de manière générale, je pense qu’il manque ces informations pour les noirs, ce message qu’il faut être fier de ce qu’on est, d’être noir. Du côté des personnes qui ne sont pas noires, il faut qu’elles comprennent que cette cause est aussi la leur. Quand on parle d’égalité raciale, des genres, sexuelle, ce sont des causes qui nous concernent tous. Je suis mariée à un homme blanc (un journaliste français, ndr) et cette cause est aussi la sienne, d’autant plus que nous allons bientôt avoir un enfant.

Comment expliquez-vous que, malgré tous ces problèmes de racisme qui existent au Brésil, ce dernier continue d’être perçu à l’étranger comme une démocratie raciale ?

Je pense que cette image persiste parce qu’elle a été construite de manière intentionnelle. Au-delà de la photo des deux enfants noir et blanc partageant une noix de coco sur la plage, il faut regarder ce qu’il y a derrière : ont-ils accès aux mêmes choses lorsqu’ils retournent chez eux ? Cette construction idéologique de démocratie raciale a débuté dans les années 1930, dans un contexte troublé, où il fallait vendre cet imaginaire au public européen pour l’attirer au Brésil. Or, si les immigrés venus d’Europe recevaient des terres et autres biens en arrivant ici, on n’a rien donné aux noirs, qui venaient de sortir de près de 400 ans d’esclavage. C’est pour cela qu’il faut déconstruire ce mythe de manière critique auprès du reste du monde : venez voir qui vit dans les favelas et qui vit dans les autres quartiers, qui bénéficie du Système unique de santé (SUS) et qui bénéficie des hôpitaux privés, qui étudie dans les écoles publiques et qui étudie dans les écoles privées ? Il faut « déromantiser » cette histoire et affronter les faits.

Vous avez vécu en France et étudié aux Etats-Unis. Les problématiques autour des inégalités raciales sont-elles similaires ?

Non, car les constructions culturelles et sociales sont complètement différentes, mais vivre dans ces deux pays m’a aidé à changer mes perceptions. Aux Etats-Unis par exemple, les personnes se réunissent beaucoup plus en associations, ce que je trouve particulièrement productif pour qui veut obtenir des conquêtes sociales. Ce n’est pas aussi structuré au Brésil. Par rapport à la France, notre pays est plus raciste que xénophobe parce qu’un nom à consonance étrangère sur un CV peut, ici, être vu plutôt positivement. Il suffit que la personne soit noire en revanche pour que cela constitue un frein. Je ne pourrais néanmoins pas comparer ces trois pays, dire lequel a les meilleures solutions, car le contexte est différent. Mais je peux m’inspirer de leurs programmes qui ont fonctionné, pour tenter de les appliquer ici.

Il y a une dizaine de jours, le journaliste de Globo William Waack a été renvoyé pour une sortie raciste. Cette dernière a provoqué une vague d’indignation, mais aussi des tribunes de soutien dans les médias en sa faveur, jugeant la sanction disproportionnée. Comment réagissez-vous à cela ?

William Waack, c’est la cerise sur le gâteau. C’est effectivement encore un défi important de mettre dans la tête des gens que le racisme existe et qu’il est en nous, pas seulement chez les autres. Si vous marchez dans la rue et que vous changez de trottoir ou vous agrippez à votre sac à main parce que vous croisez un homme noir, c’est que vous êtes raciste, c’est aussi simple que cela. William Waack a verbalisé cela. Son exemple doit ouvrir un débat plus large, en nous faisant donc prendre conscience de notre propre comportement car tout le monde est dans le même bateau. Bien entendu qu’il doit être sanctionné - et qu’il a aussi le droit de se défendre, mais après lui, il y en aura un autre, sa mentalité ne changera pas. Ce qui m’intéresse, c’est plutôt que Globo prenne dans le même temps l’initiative de promouvoir la discrimination positive au sein de ses rédactions parce que Gloria Maria (célèbre reporter, ndr) et Maju (Maria Julia Coutinho, présentatrice de la météo au JT, ndr), ce n’est pas suffisant. Je préfère une opportunité plutôt qu’une sanction. Nous sommes dans un pays de la répression, or je pense qu’il vaut mieux éduquer que punir, ouvrir plus d’écoles que de prisons.

Pourquoi pensez-vous que le Brésil a besoin de quotas, dans les universités par exemple ?

Parce qu’il n’y a rien de naturel dans cette société et qu’il y a beaucoup de personnes méritantes à qui les accès sont fermés. Elles ont des défauts, mais ces mesures temporaires sont nécessaires pour que la population noire puisse évoluer et bénéficier des mêmes opportunités que les autres.

Votre mère est un exemple pour vous. Comment vous-même, future mère, allez-vous transmettre vos conseils à votre enfant pour faire face au racisme ?

Ma mère n’a jamais été militante, mais elle a toujours été très directe. Quand on se moquait de moi ou m’insultait à l’école à cause de ma couleur de peau, elle me changeait d’établissement. Je ne m’en suis pas rendu compte à l’époque, parce que tout le monde cherchait déjà à minimiser le racisme, mais cela a été décisif par la suite pour me construire et savoir qui je suis aujourd’hui. Je ne pense pas que je serai une mère de fer, je ferai sans doute des erreurs, mais, avec son père, nous ferons comprendre à notre fille le plus tôt possible qu’il existe un privilège blanc et que son papa et sa maman ne bénéficient pas de la même perception de la part des autres à l’extérieur. Je rêve de pouvoir lui dire « nous sommes tous égaux », mais ce n’est malheureusement pas la réalité et je n’ai pas envie de la lui masquer.

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