Dominique Boyer est arrivé par hasard au Brésil, mais a eu un déclic amoureux en entendant le portugais chanter à ses oreilles. Il a donc décidé quelques années plus tard de venir s'y fixer définitivement. Enseignant le français aux Brésiliens, il est amené à confronter quotidiennement les deux langues. Et à se poser quelques questions sur des mots semblant provenir de la langue de Molière, des gallicismes. Dans la chronique Mot pour mot, il revient donc sur certaines de ses trouvailles et nous en conte l'étymologie. Cette semaine, Dominique nous amène à la découverte de l'origine du mot greve, terme portugais provenant du français « grève ».
Si ici, au Brésil, a greve dos correios (la grève de la Poste) a dernièrement été résolue assez vite, par contre, en France, les grèves des cheminots et des pilotes se poursuivent.
Grève est un terme français, et, sa première signification est la rive d'une rivière ou d'une mer. Dans la même famille, il existe aussi le mot gravier que l’on trouve d’ailleurs souvent sur la grève. Le terme est très ancien, puisque daté d’avant nos ancêtres les Gaulois, c’est à dire employé par un peuple inconnu antérieur aux Indos-européens. D’une certaine manière, nous pouvons dire qu’il s’agit en France pour la grève de plus de 2.500 ans d’expérience.
Sautons maintenant quelques siècles et rendons-nous au Paris de l'époque médiévale, plus précisément sur la place centrale de la capitale, où se trouve actuellement la mairie. Comme des quais ont été construits au long de la Seine, cela permet à la grève d'être parfaitement horizontale. Toutefois, ils n’existaient pas jadis, et la place descendait ainsi doucement vers les berges, vers la grève où se rangeaient les bateaux chargés d’approvisionner la cité fluviale. C’est ainsi qu’au lieu de Place centrale, elle reçut le nom de Place de la grève. La terminologie est mentionnée pour la première fois il y a plus de 800 ans dans le registre des métiers de la ville du prévôt Etienne Boileau, sous le roi Saint-Louis, ce souverain pieux honoré au Brésil par le nom de la ville de São Luis do Maranhão. Ce nom de place n’a habituellement pas une connotation très positive pour les Français, pour être associé dans l’histoire aux exécutions capitales. Combien de fois en effet n’a-t-on pas lu « il fut emmené et pendu place de grève ».
Des rives à la protestation
Toutefois, c'est aussi sur cette place principale le long du fleuve que se déroulaient toutes les affaires importantes de la cité, là où tous les matins, les hommes venaient à la recherche d'un travail, ainsi que les contremaîtres à la recherche de bras. Nous ne sommes pas encore arrivés au sens le plus connu de grève, mais nous en sommes désormais très proches... En effet, lorsque les conditions de travail étaient insatisfaisantes, c'est sur cette même «Place de grève » que les travailleurs restaient, les bras croisés, pour marquer leur protestation. Et c'est ainsi que grève comme « refus de travailler » est apparu en français pour la première fois à l'écrit en 1805, sous Napoléon Bonaparte.
Ensuite, au cours de ce 19e siècle de révolution industrielle, les grèves se firent plus nombreuses, et apparurent alors progressivement les expressions grève sur le tas, grève générale, piquet de grève, grève partielle, et même, sortant de son contexte de travail, grève de la faim.
Grève a également offert le terme gréviste. Le mot a ensuite voyagé vers les terres lusophones, entrant dans le dictionnaire portugais, privé de son accent grave, en 1873. Notons toutefois que le terme n’est pas passé en espagnol, en italien, en anglais, ni en allemand. Conclusion : quand il s'agit réellement de grèves, les véritables spécialistes sont les Français, les Portugais et les Brésiliens !