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(Milton Young/Flickr)

« São Paulo n’est pas du tout une ville adaptée pour les piétons »

44,19 reais pour les promeneurs qui traversent en dehors des clous et 130,16 reais pour les cyclos imprudents : prévues dans le code de la route brésilien depuis 1997, les amendes pour piétons et cyclistes seront effectives à partir d'avril 2018, en vertu d'une mesure prise par le gouvernement fédéral le 27 octobre dernier. Bom Dia Brésil a évoqué cette nouvelle réglementation et plus largement la valorisation de la marche dans la capitale pauliste avec Leticía Sabino, urbaniste et fondatrice de l’association SampaPé.

Le maire de São Paulo João Doria a annoncé que les piétons pourraient recevoir des amendes dès avril 2018. Que pensez-vous de cette décision ?

C’est quelque chose d’assez absurde. D’abord c’est punir doublement quelqu’un qui est déjà puni car les piétons n’ont que bien peu d’espace dans la ville. Ils souffrent déjà des conséquences et en plus on veut les contrôler pour tenter de se déplacer dans une ville qui n’est pas du tout préparée. Il y a un côté assez injuste à se dire qu’on pourrait recevoir une amende parce qu’on veut traverser pour aller prendre le bus et que rien n’est prévu pour qu’on puisse le faire simplement. Et par ailleurs, le piéton ne représente pas un risque pour les autres, ce n’est pas lui qui va blesser les autres personnes. Donc ça ne fait aucun sens de punir quelqu’un qui ne met pas la ville en situation de risque.

Comment est née SampaPé ?

C'est suite à une nouvelle expérience de vie à Mexico que Leticia a fondé SampaPé (DR)

J'ai longtemps vécu à Santo André (São Paulo) et je faisais absolument tous mes déplacements en voiture. Durant un échange universitaire de six mois à Mexico, j’ai appris à me déplacer seulement en transports publics et à pied. Sans voiture, j’ai complètement changé mon rapport à la ville. En rentrant à São Paulo, j’ai décidé de vivre d’une manière différente, ce qui passait par le fait de s’y déplacer à pied. J’ai donc déménagé dans la zone centrale. J’ai alors décidé de créer SampaPé, en 2012, parce que changer d’habitude a changé ma vie. J’entends beaucoup de personnes me dire que quand la ville ira mieux, sera plus adaptée, elles commenceront à se déplacer à pied. Mais c’est un choix qu’on peut et qu’on doit prendre indépendamment. Donc il fallait travailler sur toute une culture différente : celle de marcher à São Paulo.

Quel est l’objectif de l’organisation ?

Il s’agit d’améliorer l’expérience des gens avec la ville. On pense que ça ne peut se produire que quand les gens marchent. On travaille donc sur la valorisation de la promenade à pied, notamment par l’organisation de circuits culturels dans des quartiers comme Higienopolis, la Paulista, le Bixiga. Il y a toute une démarche de conscientisation autour de la marche à réaliser. Il faut aussi travailler sur le fait que la ville n’est pas préparée pour les gens voulant marcher à pied, ils sont négligés dans les politiques publiques.

Marcher est souvent considéré comme un moyen de déplacement réservé aux plus modestes, car ils n’ont pas d’autres options. Durant les promenades, on aime montrer le côté positif de la marche : voir des détails, des choses qu’on ne voit pas en voiture, mais tout en évoquant les problèmes que rencontrent les piétons.

Nous nous battons pour des vitesses plus basses. Mais c’est actuellement très difficile avec les politiques, depuis l’arrivée à la tête de la mairie de Doria et de son équipe.

Quel est votre principal combat ?

Au début de notre action, on a fait une étude visant à recenser les plus grands problèmes dans la ville concernant les piétons, pour savoir par où attaquer. Le premier, ce sont les voitures qui écrasent les piétons. A São Paulo, on comptait 415 accidents mortels en 2015, un peu moins en 2016. Deux explications à cela : la vitesse et le fait que les conducteurs ne connaissent pas les règles, dont la base est de respecter les piétons. Avec la vitesse n’importe quel accident devient très grave. Nous nous battons pour des vitesses plus basses. Mais c’est actuellement très difficile avec les politiques, depuis l’arrivée à la tête de la mairie de Doria et de son équipe. Ils partent du principe qu’il s’agit d’une responsabilité individuelle, que c’est un choix personnel d’aller vite et que la ville n’a pas de responsabilité. Haddad (l'ancien maire de São Paulo ndlr) a commencé à baisser les vitesses, ne serait-ce que parce qu’il y a eu des recommandations externes, suite à la participation au programme de Bloomberg Philanthropies. Mais un des slogans de Doria était « Acelera » (« accélère ») ; l’une de ses premières mesures a été de rétablir des vitesses plus élevées.

Les piétons paulistes se plaignent souvent des trottoirs mal entretenus…

C’est en effet notre deuxième plus gros problème. Ce n’est toutefois pas seulement l’état des trottoirs qui compte. Par exemple, la manière dont on peut passer de l’un à l’autre en toute sécurité fait aussi partie de cette problématique. Pour 98% des croisements de São Paulo, il n’y a pas le temps de traverser. Les politiques ne considèrent pas les gens qui traversent, mais le temps le plus court pour que les voitures puissent repartir le plus vite possible. Ils se basent sur une vitesse moyenne de piétons américains… C’est notre première critique : il n’y a pas d’étude sur la vitesse moyenne de marche du Brésilien. La signalisation pour qui se déplace à pied est une autre chose que l’on cherche à améliorer.

Avec-vous une action auprès des politiques ?

Pour réconcilier les Paulistes avec la marche, SampaPé organise des promenades dans la ville (DR)

On a fondé une seconde entité, Cidade a Pé, en 2015 parce qu’on a senti qu’il y avait besoin de défendre la marche dans des espaces politiques plus formels. Et nous avons conquis deux espaces. Dans le cadre du conseil municipal des transports, on se réunit tous les mois avec des représentants de tous les moyens de transports pour aborder divers thèmes de conversations. Nous avons également une réunion par mois avec la CET (Compagnie d'ingénierie du traffic).

Nous avons créé le projet « Sentindo nos pés » (« sentir dans nos pieds ») : on invite des décisionnaires de la villes, secrétaires et conseillers municipaux, à marcher avec nous. On se promène et on leur passe un cadre rouge et un cadre vert. Ils doivent tout au long de la promenade prendre des photos des choses bien dans le cadre vert et de ce qu’ils ne trouvent pas adéquat pour marcher dans le cadre rouge. C’est un exercice très intéressant, parce qu’ils n’ont pas l’habitude de marcher et encore moins de regarder en marchant, donc ils découvrent beaucoup de choses. Et à la fin on leur pose la question de savoir ce qu’ils pourraient faire pour améliorer la situation. L’un de nos premiers invités était le secrétaire aux transports de la précédente gestion, Gilmar Tato. Il a trouvé que les barrières mises sur les terre-pleins centraux des rues étaient absurdes car elles faisaient perdre du temps, les passages piétons n’étant souvent pas alignés. Durant la promenade, il a sauté par-dessus la grille et par la suite, il en a fait enlever quelques unes. On doit sensibiliser tant les personnes que les politiques. Créer une culture de la marche et humaniser la ville : les deux choses fonctionnent ensemble selon nous.

Prochaines marches organisées :
- samedi 17 mars : Elas na cidade (« Elles dans la ville »)
- samedi 14 avril : les galeries du centre
- dimanche 13 mai : Bixiga
- samedi 16 juin : les graffitis de Vila Madalena
Pour plus d'informations, consultez le site de SampaPé.

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