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Swann Arlaud : « Grâce à Dieu, c'est vraiment un film sur la libération de la parole »

La semaine dernière, à l'occasion du festival Varilux de cinéma français, l'acteur français Swann Arlaud présentait au Brésil Grâce à Dieu de François Ozon, couronné du grand prix du jury au festival de Berlin. Un film qui avait fait beaucoup de bruit au moment de sa sortie puisqu'il y évoque l'affaire du père Preynat, prêtre lyonnais suspecté d'avoir abusé d'enfants. Dans le film, Swann Arlaud joue Emmanuel, l'une des victimes de l'homme d'Eglise. Bom Dia Brésil l'a rencontré.

Un projet évoquant un sujet aussi délicat, comment se décide-t-on à se lancer dedans ?

Swann Arlaud : Quand j’ai rencontré François Ozon et qu’il m’a raconté le sujet de son film, j’ai eu peur. Parce que je me suis dit Ozon, pédophilie, comme on connaît parfois ses films un peu sulfureux. Puis il m’a envoyé un scénario. Et en fait il était tellement fort que je n’ai pas hésité une seconde. 

Dans le film, vous jouez l'une des victimes du père Preynat, qui a ensuite participé à l'aventure de libération de la parole, aux côtés d'autres de ses supposées victimes. Comment aborde-t-on le fait de représenter une personne réelle qui a vécu ce genre d'abus ?

On ne les a pas rencontrés avant de tourner. François n’avait pas envie de ça, nous non plus. L’idée n’était surtout pas justement d'interpréter des gens qui existent. Ce n’était pas de faire une sorte de biopic. Moi, je l’ai pris comme un personnage de fiction. Ce qui m’a beaucoup aidé, c’est la construction physique, le costume. C’est-à-dire la moto, le blouson en cuir, la boucle d’oreille, la moustache, que le personnage que je représente n’a pas du tout dans la vie. Utiliser tous ces attributs masculins de virilité, je me suis dit que c’était une manière de cacher cette blessure. Puisqu’en fait c’est une blessure invisible, ça ne se voit pas sur le visage de quelqu’un s’il a subi ça. Donc ça ne se joue pas.

Dans ce film construit en triptyque autour de trois victimes, il y a une évolution : le personnage interprété par Melvil Poupaud semble posé, celui interprété par Denis Menochet est au contraire dans la révolte. Quant à vous, Emmanuel, c’est la fragilité et celui qui semble le plus perturbé par cet épisode. Vous n’apparaissez d'ailleurs que sur le dernier tiers du film, mais sur une scène de crise d’épilepsie particulièrement frappante...

François (Ozon ndr) est venu me chercher pour ça, cette fragilité un peu apparente que j'ai. Je me suis caché derrière ce costume en me disant, puisqu’il vient me chercher pour cette fragilité, il sait ce qu’il fait, je n’ai pas à prendre ça en charge. Et notamment sur les crises d’épilepsie, j’ai tout de suite été préoccupé. J’ai dit à François Ozon : mais c’est hyper casse-gueule, on ne va pas y croire, ça ne va pas marcher. Il m’a dit qu’il doutait aussi et qu’on allait faire les prises avec et sans crise et qu’il aviserait ensuite de si ça marchait ou non. Donc j’étais complètement libéré et j’ai pu y aller à fond. Et au final, on les a gardées.

Si les trois personnages principaux sont masculins, les femmes ont aussi un rôle très important de soutien. Sans elles, il n’y avait pas cette action de libération de la parole ?

Les membres de La Parole libérée joués dans Grâce à Dieu par François Ménochet, Eric Caravaca, Swann Arlaud et Melvil Poupaud (DR)

En fait, les trois victimes disent tous que sans leurs compagnes ou par exemple la mère dans le cas de mon personnage (interprétée par Josiane Balasko ndr), ils n’auraient jamais eu la force et le courage d’aller jusque là s’ils n’avaient pas été épaulés, accompagnés. Et donc les femmes ont une place très importante. Et il se trouve d'ailleurs que deux sur trois d'entre elles ont été aussi abusées. A la lecture du scénario je trouvais que c’était peut-être un peu trop. Mais c’était vrai. Donc après c’est vraiment un film sur la parole et sur la libération de cette parole. Mais c’est aussi une époque. Celle de #MeToo et je pense que les femmes, même s’il y a encore du chemin à faire, commencent à être écoutées à propos de sujets inacceptables comme le harcèlement, les agressions répétées. Donc ce film s’inscrit aussi dans cette époque-là et dans un contexte de plus général qui ne concerne pas que les enfants, mais tous les types d’agressions et de harcèlement.

Le Brésil est un pays extrêmement catholique et des scandales de pédophilie dans l'église ont déjà éclaté. Quel impact peut y avoir la présentation de Grâce à Dieu ?

C’est un sujet aussi important dans énormément d’endroits dans le monde en fait. C’est dément. Je ne l’ai pas encore présenté à l’étranger, mais on a fait un grand tour de France et on se rend compte de la puissance de l’église catholique en France. Je connais beaucoup moins l’histoire du Brésil et ce n’est certainement pas dans les mêmes proportions. Dieu a peut-être moins de place dans la société française, mais c’est surtout sur la question des puissants, c’est-à-dire que c’est une institution encore extrêmement puissante et on se rend compte que ce sont des gens qui sont extrêmement compliqués à traîner devant la justice.

D’ailleurs, la sortie du film a été polémique, car elle tombait en plein procès Barbarin - depuis condamné à six mois de prison avec sursis pour ne pas avoir dénoncé les abus - et avant qu'une date ait été décidée pour celui du père Preynat...

Le procès du père Preynat n'a d'ailleurs toujours pas eu lieu, il n'y a même pas de date… Mais en effet, il y a deux procès pour tenter de faire repousser la date de sortie du film et c’est là quand même qu’on s’est rendus compte, et c’est un point positif, que le cinéma avait lui aussi une forme de pouvoir. L’affaire, elle était connue, elle avait été très médiatisée en France, donc dans le film il n’y a pas de révélations. Mais d’un coup, le fait qu’il y ait un film, porté par un réalisateur important, a fait qu'ils se sont mis à trembler et ils ont tout fait pour faire interdire ce film.

Vous avez rencontré les membres de la Parole libérée après la sortie du film. L’idée de potentiellement les avoir trahis, c’était une préoccupation ?

Oui et ça a été très très fort cette rencontre. Ils n’ont pas tous réagi de la même manière face au film. Il y en a pour qui c’était plus compliqué de voir leur histoire, mais tous les trois sont très contents que ce film existe. Les membres de La Parole libérée se sont vraiment emparés du film pour continuer leur combat. C’est devenu un outil pour eux qui leur a permis de sortir du fait divers pour rendre cette histoire universelle comme ils le disent de très belle manière.

Vous avez reçu en 2018 le César du Meilleur acteur, pour votre rôle dans Petit Paysan de Hubert Charuel. Quel impact cette consécration a-t-elle eue sur votre carrière ?

Je reçois beaucoup plus de propositions ! Donc c’est un luxe, quelque chose de confortable de pouvoir choisir. Mais là je prends mon temps pour décider. Je viens de finir un film de super héros français où je fais le méchant.

Le théâtre ou passer derrière la caméra ce sont des domaines qui vous tentent ?

Oui, j’ai un projet de théâtre pour 2020. C’est un texte d’Adel Hakim : Exécuteur 14, une pièce inspirée de la guerre au Liban mais qui concerne absolument n’importe quel conflit. Qui est encore d’une actualité troublante. C’est un texte très fort, très beau. J’ai vu cette pièce quand j’avais 15 ans et depuis je la traîne, j’ai souvent relu le texte. Jamais je n’aurais pensé le jouer un jour. Et sinon j’ai des envies de réalisation aussi… Mais je ne suis pas pressé, je suis une personne assez lente.

Vous avez fait les Arts Décoratifs. L’art a-t-il encore une place dans votre vie ?

Déjà mon cercle d’amis proches sont tous des gens que j’ai rencontrés pendant cette période-là. Ils sont illustrateurs, sculpteurs, peintres. Et puis en même temps ce que j’ai appris aux Arts Décoratifs, ce sont des questions d’équilibre dans l’image, c’est le travail de la couleur, et puis j’ai aussi passé du temps à écrire là-bas car il y avait un atelier d’écriture que j'ai beaucoup suivi dans cette école. Le cinéma, c’est le mélange de l’écriture et de l’image, donc ça a absolument du sens. Et puis il y a une chose que j’ai réalisée il n’y a pas longtemps, c’est qu’en fait ce qu’on apprend aux Arts Déco dans le dessin, c’est à prendre en compte les lignes invisibles qui relient les choses et qu’en fait jouer, c’est exactement ça : c’est prendre en considération l’invisible, à savoir que la pensée se voit. Il suffit de penser quelque chose et ça se voit. Donc c’est magique.

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