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Marcelo Odebrecht (World Steel/Flickr)

Comprendre le Brésil en un mot : c’est quoi la Delação premiada/Délation récompensée ?

Ancien cadre dirigeant d’une grande entreprise française au Brésil, Christian Pouillaude a vécu, travaillé, voyagé au Brésil depuis plus de 40 ans. Passionné de musique brésilienne (au point de collaborer avec Radio Latina) et de tout ce qui touche à son pays d’adoption, il vit aujourd’hui dans la ville de son épouse, Rio de Janeiro, et collabore avec Bom Dia Brésil à travers une chronique mensuelle intitulée Palabres. Palabres, car on ne peut pas comprendre le Brésil sans saisir toutes les nuances de certains mots du vocabulaire brésilien. Palabres, car ce sont des mots qui prêtent à la réflexion et à la discussion. Le troisème volet de cette chronique se penche sur la delação premiada/délation récompensée. Vous pouvez la découvrir en version podcast ou simplement la lire ci-dessous.

Ouh la la ! Delação premiada, tout de suite les grands mots ! Vous dites délation ! Evidemment, en France, c’est un mot connoté qui hérisse le poil. Alors parlons de « dénonciation », si ça vous va mieux. Mais au Brésil, la « délation récompensée » est d’abord un concept juridique, défini et rigoureusement encadré par une loi d’août 2013. L’idée vient des exemples nord-américain et surtout italien avec le système des repentis, qui avait enfin pu permettre de démanteler des groupes mafieux.

Remises de peine

Au Brésil, personne ne se doutait que cette délation récompensée allait trouver un parfait terrain d’application avec l’affaire Lava-Jato qui allait démarrer quelques mois plus tard. Le principe est simple : accorder des réductions, voire des remises totales de peine à un accusé à partir du moment où il « se met à table » : il doit raconter en détails absolument tout ce qu’il sait et amener des preuves aux juges. C’est fondamental pour les affaires de corruption où par définition corrupteur et corrompu sont complices et s’arrangent (en général) pour ne laisser aucune trace visible. Seule une dénonciation venant de l’intérieur permet de briser l’omerta qui règne dans ce domaine.

Odebrecht et la délation de la fin du monde

Rapidement les intermédiaires financiers (les doleiros) et les cadres des entreprises concernées vont signer des délations récompensées pour se délivrer de peines de prison. Du coup ils vont mettre en cause de très, très nombreux politiques, qui vont commencer à voir ce système de « délation récompensée » d’un très mauvais œil. La présidente Dilma Rousseff déclarera qu’elle n’a aucun respect pour ces délateurs, critiquant une procédure qu’elle avait pourtant ratifiée. Quant au président de l’entreprise Odebrecht, Marcelo Odebrecht, il proclamera que « jamais il ne fera de délation récompensée; que ce n’est pas dans ses valeurs et qu’il a toujours dit à ses enfants que dénoncer ses petits camarades est encore pire que la faute commise ! ». Bref il ne fallait pas compter sur lui… jusqu’à ce que son paternel lui demande d’arrêter ses leçons de morale, qui mettaient en danger l’entreprise : cela débouchera, en avril 2017, sur la « délation de la fin du monde » de 78 cadres d’Odebrecht, les présidents en tête ! Avec en plus un accord d’indulgence (« leniência »), l’équivalent pour une entreprise d’une délation récompensée pour un individu.

Aujourd’hui, toute la classe politique s’est unie pour en finir avec cette procédure qu’elle ne cesse de dénoncer dans les médias. L’argument est simpliste : les délateurs racontent n’importe quoi pour échapper à la prison ! La raison est simple : la délation récompensée est l’arme fatale de la police et de la justice pour mettre au grand jour les pratiques (souvent anciennes) de corruption des politiques. Le bras de fer est engagé. Pas sûr que le Brésil gagne !

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