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Les récifs du bassin de l'Amazone (Greenpeace)

Pour Greenpeace, « le projet de Total menace le récif corallien de l'Amazone »

A quatre reprises déjà, le groupe Total a présenté à l’Institut brésilien de l'environnement et des ressources naturelles (Ibama) son dossier sur l’impact environnemental de son projet d’exploitation pétrolière à l’embouchure de l’Amazone. Et quatre fois - le 29 mai pour la dernière demande en date -, l’Ibama a opposé son refus à l'entreprise française, estimant que « les études environnementales soumises étaient insuffisantes » et qu'elles contenaient « des lacunes et des incohérences rendant le projet irréalisable ». Le nœud du problème : des parcelles acquises aux enchères en 2013 par le géant pétrolier, sur une partie desquelles se trouverait un récif corallien qui serait de fait menacé par le projet. Depuis 2016, un bras de fer est engagé entre Total et Greenpeace concernant la zone.

Bom Dia Brésil a rencontré Thiago Almeida, responsable Energie chez Greenpeace, afin de faire le point sur la situation.

Quand ce récif de coraux a-t-il été découvert ?

Le bateau Esperanza de l'ONG Greenpeace en mission dans l'Amapa en janvier 2017 (Greenpeace)

Dans les années 1970, des scientifiques américains qui faisaient des recherches dans le bassin de la fosse du fleuve Amazone ont envisagé la possible existence d’un système « récifal » dans la zone, du fait qu’ils aient trouvé certaines espèces typiques des récifs. Et puis cette idée est tombée dans l’oubli. Mais à partir de 2010, des scientifiques brésiliens ont recommencé à étudier cette hypothèse. Entre 2010 et 2014, ils ont fait trois expéditions, avant de révéler en 2016 ces coraux au monde entier en publiant un article (dans Science Advances, ndr). Peu de temps après la publication, Greenpeace a découvert qu’il existait une menace d’exploitation de pétrole dans cette même région, juste à côté des coraux. On a donc rapidement mis en place une campagne. Cinq mois après avoir découvert l’existence de ces coraux, en janvier-février 2017, notre bateau a réalisé sa première expédition, durant laquelle nous avons pris les premières images sous-marines. Nous avons donc montré les premières images de ce récif au monde. Pour être un peu technique, il s’agit d’un système récifal formé de coraux, d’éponges et de rhodolithes : on appelle ça des coraux d’Amazonie pour faciliter la compréhension.

Les parcelles ont été acquises par Total en 2013, avant que les scientifiques ne révèlent l'existence de ces coraux...

Ils avaient déjà remis leur étude d’impact ambiental dans lequel ces récifs n’étaient pas du tout mentionnés. Quand grâce à Greenpeace ces coraux sont devenus connus dans le monde entier, l’Ibama a demandé à Total pourquoi les coraux n’avaient pas été inclus dans leur étude. Il est important de mettre en avant que, grâce aux informations que nous avons obtenues lors de cette expédition de 2017, des chercheurs ont publié une nouvelle étude en 2018 affirmant que si avant l'étendue de ces coraux était estimée à 9.500km², on parle désormais de 56.000km². Des données pourtant de nouveau déphasées car on a de nouveau fait une expédition en avril-mai de cette année et on a découvert que ce système récifal s’étendait jusqu’aux eaux de la Guyane française. Donc il est plus grand que ce qu’on pensait. Et il est confirmé qu'il s'étend jusqu'à au moins une des parcelles de Total. Tout cela prouve que les risques d’exploitation du pétrole sont encore plus grands et inconnus. Si on ne sait pas ce qu’il y a précisément là, comment l’entreprise peut-elle affirmer, déterminer une probabilité de l’impact ?

Pour préparer ses dossiers, l'entreprise française ne doit-elle pas elle aussi réaliser des expéditions ?

Si, en effet. Et c'est là qu'on s'interroge car en juste six jours de plongée avec un matériel assez restreint, on a réussi à trouver des coraux dans l’un des blocs de Total. Comment une entreprise riche de tant de ressources, d’équipement et de temps pour faire les recherches n’a-t-elle pas pu les trouver ? Donc cela nous amène à questionner encore plus la qualité et le sérieux du travail fait par Total.

Total a déjà présenté ses résultats quatre fois auprès de l'Ibama, qui a rejeté sa demande d'exploitation. Quelle est la prochaine étape ?

L’Ibama a donné encore 120 jours supplémentaires à Total, jusqu’à fin septembre pour envoyer un cinquième dossier. En théorie, ils n’auraient déjà pas dû publier une quatrième étude. Après la troisième présentation du projet, la présidente de l’Ibama avait dit que ce serait leur dernière opportunité.

Pourquoi ont-ils plus d'opportunités que ce qui semblait prévu ?

La campagne de défense des récifs menée par Greenpeace (Marizilda Cruppe/Greenpeace)

C’est sans doute le jeitinho brésilien… Et l'on sait qu’il doit y a une pression politique forte. Il y a quelques semaines, le PDG de Total au Brésil a rencontré le ministre des Mines et de l’énergie, c’était sur l’agenda officiel du ministre. Donc cela pose également question : pourquoi Total rencontre-t-elle le ministre dans ce contexte si c’est en relation à la fosse ? Pourquoi ne suivent-ils pas la démarche, où la relation ne devrait avoir lieu qu’avec l’Ibama au regard de questions techniques ?

L’entreprise veut prouver ce qu’il est impossible de prouver, à savoir qu’il est possible de mener l’exploitation sans risque pour l’environnement ni pour les communautés, notamment de pêcheurs, qui dépendent de la bonne santé de cet environnement. Il faut comprendre que ce genre de récifs, c’est l’équivalent de la forêt tropicale des océans. Ils ne représentent qu'1 % des océans, mais 25 % de sa biodiversité et 35 % des espèces de poissons, car où il y a des récifs, il y a en général abondance de poissons. Le projet d'exploitation de Total est une menace pour le récif corallien de l'Amazone.

Vous pointez également du doigt des difficultés avérées afin de forer dans cette région...

C’est une région de très grande difficulté opérationnelle. Quand on était là bas, on a vu sur une carte en temps réel que les courants dans la région étaient un des deux plus forts au monde à ce moment-là. Des 95 tentatives de produire du pétrole dans le bassin de l’Amazone, aucune n’a pu être concrétisée et 27 ont mené à des accidents mécaniques.  Presque 30 % des tentatives ont été abandonnées à cause d’accidents pouvant mener à une catastrophe. Car comment est-il possible de contrôler une fuite de pétrole dans ces conditions ? En 2011 par exemple, Petrobras a perdu une plateforme partie à la dérive. Les ordinateurs ne pouvaient maintenir la position du fait de ces courants. C’est un désastre annoncé si les entreprises se décident à exploiter.

Pour Greenpeace, quel est le prochain pas ?

On a beaucoup informé, notamment sur le plan scientifique. On a fait un protocole de nos découvertes, pour qu’elles soient prises en compte dans les études des projets par l’Ibama. Notre travail est tourné vers la science et les informations techniques pour montrer que le dossier de l’entreprise est basé sur des informations incorrectes et souvent insuffisantes. On divulgue aussi beaucoup sur les réseaux sociaux, partout dans le monde. L'acteur français Lambert Wilson, sensible à la cause, est venu faire une visite avec nous. Il s’est montré très préoccupé durant le voyage, et forcément, cela crée un impact. Nous allons également continuer à promouvoir la pétition : en à peine un an et demi, elle a déjà recueilli plus de deux millions de signatures demandant à Total et BP de se tenir loin des coraux. Car BP a également des projets dans la même zone, mais ils sont plus en retard.

Pensez-vous qu'il y a d'autres récifs qui pourraient être découverts dans de prochaines expéditions ?

J'en suis certain. Des scientifiques semble avoir découvert l'existence d'un couloir de biodiversité entre les Caraïbes et l'Atlantique Sud. Donc allez savoir s'il n'y aurait pas des récifs identiques en Guyane, au Surinam ou au large du Venezuela ?

Bom Dia Brésil a contacté le groupe Total pour connaître sa position sur le dossier. L'entreprise française n'a pas donné suite, mais elle s'est exprimée par un communiqué de presse en mai dernier, rappelant que les cinq blocs acquis en 2013 se situaient à environ 120 km au large du Brésil. Evoquant les conclusions des expéditions du bateau Esperanza de Greenpeace, Total « confirme qu'aucune formation biogénique n'a été identifiée dans le bloc FZA-M-57 (voir carte). Le puits d'exploration prévu dans le bloc FZA-M-57 (à environ 1.800 m de profondeur) sera situé à 28 km des rhodolithes identifiés précédemment et à 34 km de l'endroit où l'ONG aurait trouvé des rhodolithes plus récemment ». Le groupe français rappelle par ailleurs respecter « rigoureusement la législation en vigueur et applique les meilleures pratiques de l'industrie en matière de sécurité, de conception de puits, de forage et de protection de l'environnement ».

Carte de la Foz de Amazonas (Total/DR)

 

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