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(Pexels/Pixabay)

Le marché du luxe à la peine au Brésil

Au cours des trois dernières années, 25 % des marques de luxe auraient quitté le Brésil, selon l'Estado de S.Paulo. Une hécatombe qui contraste de manière saisissante avec le marché mondial du secteur, qui lui affiche une croissance forte et durable. En effet, en 2018, le luxe atteignait un chiffre d’affaires (CA) global de 260 milliards d’euros, soit une hausse de 6 %. Dans son étude annuelle consacrée au secteur, Bain & Company prévoit un CA de 350 milliards d’euros à l’horizon 2025. Alors que tous les signaux semblent au vert pour le luxe mondial, le Brésil, lui, semble avoir raté la marche de ce train à grande vitesse et à grosses marges. Eléments d’explication.

Le pays a la réputation de ne pas être facile pour les investisseurs étrangers, mais pour les produits de luxe, c’est un vrai casse-tête. « D’abord, il faut se poser cette simple question : y a-t-il assez de clients ? » souligne Stephan Meili, ancien directeur de Rolex Brasil. Cette question peut paraître surprenante pour un pays continent de 210 millions d’habitants. Mais Stephan Meili estime la cible à seulement 0,5 % de la population totale.

Un marché seulement domestique

En effet, la fameuse classe sociale A, la plus élevée, qui représente 5 % de la population, démarre avec des revenus supérieurs à 11.000 reais par famille. Rolex Brasil affichant des des montres dont les prix peuvent dépasser les 100.000 reais, difficile effectivement que l’ensemble de la classe A représente des clients potentiels. 

De plus, au Brésil, le secteur du luxe ne peut compter que sur ce marché domestique. « Contrairement à l’Europe, l’Amérique du nord ou même le Mexique, le Brésil ne peut pas compter sur les achats des touristes », insiste Claudio Diniz, spécialiste du luxe au Brésil à travers sa société de consulting La Maison du Luxe. Et voilà comment un marché de 210 millions d’habitants sur le papier devient une niche d’un petit million de consommateurs potentiels.

Le grand obstacle au Brésil est bien sûr sa particularité fiscale, les taxes à l’importation sont telles qu’au bout du compte, le prix est plus que doublé par rapport à l’Europe. Envie d’un sac Chanel ou d’une montre IWC ? Au vu du prix élevé, le consommateur a tendance à attendre le prochain voyage à l’étranger… Une des parades est le système de paiement en plusieurs fois, très utilisé au Brésil. « Cela nous permet de tenter le client, mais ce n’est pas suffisant pour le retenir complètement, la fiscalité est extrêmement lourde », ajoute Stephan Meili.

Réduire les marges

Alors pour rester malgré tout attractives, beaucoup de marques sont contraintes de détériorer la marge, rendant l’exploitation du business délicate. Car « pour s’implanter au Brésil dans une ville à potentiel comme São Paulo, il faut au minimum un investissement initial de 25 millions de reais pour avoir un seul magasin convenablement placé dans un centre commercial adapté », précise Claudio Diniz. Autant dire que les résultats positifs sont très attendus.

Enfin, pour couronner le tout, le change est très défavorable pour les entreprises étrangères. En effet, en 10 ans, le real brésilien a perdu la moitié de sa valeur (1 euro = 4,45 reais au taux du jour, contre 1 euro = 2,20 reais en juin 2010), pénalisant les performances du pays, vues des maisons mères. 

Petit marché, marges dégradées, lourdeurs fiscales, change défavorable, crise économique persistante, les raisons ne manquent pas pour que tant de marques, des plus glamours et des plus chics, aient purement et simplement quitté le pays. C'est le cas entre autres de Versace, Kate Spade, Jaeger-Lecoultre, IWC…

Certains tirent leur épingle du jeu malgré tout

Cependant, malgré tous ces départs, il y en a qui s’en sortent bien, et pas des moindres. « Hermès est présent au Brésil depuis neuf ans », relate Eric Grellety, président d'Hermès LATAM. « Et aujourd’hui, le plus grand magasin d’Amérique latine (y compris donc le Mexique) est au Brésil ! C’est celui du Shopping Iguatemi à São Paulo. »

Comment expliquer un tel succès ? « Peut-être parce que les choses ont été faites dans l’ordre et grâce à une communication cohérente », juge Eric Grellety. A son arrivée en 2010, Hermès s’est tout de suite associé avec un partenaire local, le groupe JHSF, qui détient notamment le shopping de luxe Cidade Jardim à São Paulo. « Après quelques années de partenariat et d’ancrage dans le marché local, la filiale brésilienne est créée en 2015 et actuellement, nous sommes assez contents des résultats », se félicite le dirigeant.

« Attention, bien sûr les difficultés demeurent, taxes d’importation, lourdeur administrative et fiscale, contraintes de la législation du travail… » Le président d'Hermès LATAM pointe les mêmes difficultés que ses confrères. Mais il nous confie aussi qu’il parie dans les années à venir sur un regain d’activité pour le secteur, si la stabilité politique le permet. Misant ainsi sur la capacité légendaire du Brésil à rattraper le temps perdu, ainsi qu’il l'a déjà prouvé maintes fois dans le passé pour toutes sortes de secteurs. 

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