Jair Bolsonaro (Parti social libéral) a été élu président du Brésil dimanche soir face à Fernando Haddad (Parti des travailleurs). Bom Dia Brésil s’est entretenu avec le politologue Wagner Romão, professeur à l’université de Campinas (São Paulo), pour analyser les résultats et le futur du gouvernement Bolsonaro, ainsi que son opposition.
Que peut-on dire du résultat du second tour, qui a vu Jair Bolsonaro s’imposer de dix points, conformément au dernier sondage Datafolha ?
Le report des voix a été conforme à celui que l’on attendait : Fernando Haddad a pris 16 points entre les deux tours, tandis que Jair Bolsonaro en a pris neuf. Mais la victoire de ce dernier est incontestable, c’est un score important malgré une importante mobilisation finale qui a permis à Fernando Haddad de combler l’écart des premiers sondages du second tour en fin de campagne. Près de la moitié du pays n’a pas succombé à la vague Bolsonaro, mais les dix millions de voix de différence montrent aussi que l’antipétisme a été une force très importante et a nourri sa candidature.
Fernando Haddad avait-il la moindre chance de l’emporter ?
Non, cela aurait été très difficile car la majorité de l’électorat de Jair Bolsonaro a vraiment été convaincue par son discours anti-gauche et l’écart aurait même été encore plus important s’il l’avait modéré. Son discours de haine, accentué en fin de campagne, avec des mots plus durs et violents à l’encontre de l’opposition (il indiquait, une semaine avant le second tour, que les « rouges » auraient, sous sa présidence, le choix entre quitter le pays ou aller en prison, ndr), a augmenté le rejet vis-à-vis de Jair Bolsonaro et aidé Fernando Haddad en dernière semaine à conquérir des voix dont celles de personnalités importantes comme Marina Silva, Joaquim Barbosa ou encore Rodrigo Janot. Malgré tout, je pense qu’une part importante de la société brésilienne est encore prête à voter pour une candidature de centre-gauche.
Le discours extrêmement pessimiste des opposants de Jair Bolsonaro est-il exagéré ?
De ce qu’on a pu voir de la « libération » d’action et de parole des partisans de Jair Bolsonaro au cours de la campagne, qui a encore été illustrée dimanche soir avec des agressions, cette sensation de peur que certaines personnes peuvent avoir n’est pas complètement exagérée. Ces accès de violence spontanée peuvent avoir lieu et on va voir jusqu’à quel point Jair Bolsonaro peut tenir ses troupes.
A l’inverse, les partisans de Jair Bolsonaro ne rêvent-ils pas quand ils s’attendent à un gouvernement de vérité et sans corruption ?
Il est en effet difficile que Jair Bolsonaro puisse nourrir un discours politique et gouverner un pays entier seulement sur cette volonté de corriger ce qu’a fait le PT ou faire ce que ce dernier n’a pas fait. Il ne peut pas se présenter uniquement comme une alternative à la gauche et conserver ce discours de faction. C’est pour cela que le pouvoir judiciaire va avoir un rôle fondamental sous sa présidence. Il va devoir s’investir dans une posture active de gardien de la Constitution. On a heureusement commencé à le voir la semaine dernière avec les événements dans les universités (des juges locaux ont fait retirer des banderoles antifascistes, ndr).
Qu’avez-vous pensé des premiers discours de Jair Bolsonaro dimanche soir ?
Même s’il a évoqué la liberté, la démocratie et la Constitution, il a montré qu’il n’avait pas encore initié la reconstruction, qu’il était encore dans une situation de transition. Puis il y a eu cette prière en direct, qui a été une image très forte et a fait partie de sa stratégie politique pour se rapprocher de la population, avec cette idée que Dieu a besoin d’aider le pays à s’en sortir. Le Brésil est très lié à la religion et cette posture d’humilité face à Dieu est très forte. Cela illustre aussi la difficulté de parler d’Etat laïc concernant le Brésil.
Le PT est désormais bel et bien reversé dans l’opposition. Que doit-il entreprendre pour reconquérir la confiance des Brésiliens ?
Il doit réfléchir à la direction vers laquelle il veut aller. Lula reste le leader, mais le parti doit envisager la rénovation de son leadership car Lula ne pourra le diriger depuis sa prison et lui-même le sait très bien. Le PT peut au moins s’appuyer sur Fernando Haddad, qui a réussi à obtenir un bon résultat et exprime cette cure de jouvence : il a su montrer son sérieux, son ouverture au dialogue et il est plus ou moins hors du viseur de la justice et de la corruption, malgré des affaires à São Paulo. Ce qui est certain, c’est que le PT va continuer à être la principale force d’opposition à gauche et pourrait être aidé du Parti socialisme et liberté (Psol), du Parti socialiste brésilien (PSB) et dans une certaine mesure du Parti démocratique travaillistes (PDT) , qui ont connu un regain de leur activité. J’ai en tout cas senti un renforcement du mouvement militant de gauche au cours de cette campagne et une sorte de réconciliation du camp démocratique autour du PT.