Ancien cadre dirigeant d’une grande entreprise française au Brésil, Christian Pouillaude a vécu, travaillé, voyagé au Brésil depuis plus de 40 ans. Passionné de musique brésilienne (au point de collaborer avec Radio Latina) et de tout ce qui touche à son pays d’adoption, il vit aujourd’hui dans la ville de son épouse, Rio de Janeiro, et collabore avec Bom Dia Brésil à travers une chronique mensuelle intitulée Palabres. Palabres, car on ne peut pas comprendre le Brésil sans saisir toutes les nuances de certains mots du vocabulaire brésilien. Palabres, car ce sont des mots qui prêtent à la réflexion et à la discussion. Le dixième volet de cette chronique se penche sur le concept de capitalisme de compères, qui marque l'économie brésilienne de son empreinte. Vous pouvez la découvrir en version podcast ou simplement la lire ci-dessous.
Dans un pays capitaliste, il y a en principe deux façons pour une entreprise de gagner de l’argent. La plus normale est de vendre le plus possible de produits et de services qui satisfont les clients. Mais une autre manière est d’obtenir directement des gouvernements et autres entités publiques un certain nombre d’avantages, qui génèrent des profits abondants, rapides et faciles.
Matrice de la corruption
C’est, semble-t-il, cette dernière voie qui a été la plus empruntée au Brésil ces dernières décennies par de nombreuses grandes entreprises brésiliennes, qu’elles soient nationales ou multinationales. C’est ce qu’on a baptisé ici de « capitalisme de compères ». On se met d’accord ensemble pour « arranger » les règles du jeu dans le sens le plus favorable à l’entreprise, contre quelques belles contreparties bien évidemment. C’est la matrice de la corruption, mais on aurait du mal à identifier la poule et l’œuf dans ce petit jeu entre corrupteurs et corrompus, indissociablement liés.
La plus belle illustration en a été donnée par le récit qu’Emilio Odebrecht, le patriarche du mastodonte du BTP brésilien, a fait de ses conversations avec son « vieux compère » nordestin, le président Lula ! C’était un échange ouvert et amical de bons procédés où chacun trouvait son compte à la fin : des gros contrats publics contre des financements de campagne électorale !
Les marchés des entreprises publiques représentent effectivement la quintessence de ce « capitalisme de compères », avec des cartels parfaitement organisés et une organisation sophistiquée des circuits de corruption, comme on a pu le voir avec la Petrobras.
Protectionnisme
Mais ce sport national se pratique sur beaucoup d’autres terrains. Un prêt sympathique de la BNDES (la banque publique d’investissement), obtenu grâce à quelques appuis « bien placés », est extrêmement rentable vu le niveau des taux d’intérêt habituels au Brésil. Une négociation d’avantages fiscaux pour un secteur économique nécessite un bon lobbying auprès du gouvernement, des députés et des sénateurs, mais il en vaut vraiment la peine. Toutes ces nombreuses incitations fiscales représenteraient aujourd’hui 4 % du PIB brésilien ! C’est beaucoup, beaucoup d’argent… On peut aussi compter sur la complicité active des autorités pour protéger le marché national d’importations trop compétitives : quelques taxes ou quelques règlements, et le tour est joué. Il en faut peu pour réveiller les tendances protectionnistes du pays. On se dit alors que certaines entreprises auraient tout intérêt à définitivement remplacer leurs départements de marketing par des départements de lobbying !
Derrière cette attitude, on peut sans doute discerner une certaine crainte de devoir se confronter à la concurrence et au marché libre : on préfère se mettre d’accord ou profiter d’un avantage indu. Serait-ce un manque de confiance en soi ? Une peur du risque ? Ou alors une solution de facilité ? Pour faire comme les autres !