Ancien cadre dirigeant d’une grande entreprise française au Brésil, Christian Pouillaude a vécu, travaillé, voyagé au Brésil depuis plus de 40 ans. Passionné de musique brésilienne (au point de collaborer avec Radio Latina) et de tout ce qui touche à son pays d’adoption, il vit aujourd’hui dans la ville de son épouse, Rio de Janeiro, et collabore avec Bom Dia Brésil à travers une chronique mensuelle intitulée Palabres. Palabres, car on ne peut pas comprendre le Brésil sans saisir toutes les nuances de certains mots du vocabulaire brésilien. Palabres, car ce sont des mots qui prêtent à la réflexion et à la discussion. Le sixième volet de cette chronique se penche sur l' ufanismo/ufanisme. Vous pouvez la découvrir en version podcast ou simplement la lire ci-dessous.
Le mot ufanismo est un peu passé de mode. Il fut créé au Brésil au début du 20e siècle et désigne « la glorification exagérée des qualités d’un pays ». Il fait partie de la famille des chauvinismes, des patriotismes et autres nationalismes. Il est bien naturel que le Brésil ait inventé son propre mot car la façon d’exalter o Brasil des Brésiliens est elle aussi bien spécifique.
La naissance de ce mot correspond à une période où le Brésil prend conscience de sa propre valeur et de son propre potentiel. Le Brésil vivait jusqu’à alors dans une admiration inconditionnelle pour l’Europe, symbole de la culture et de la civilisation. Il n’y avait de bon et de beau que ce qui était importé d’Europe ! La Première Guerre Mondiale, avec son cortège d’horreurs et de massacres, va jeter un froid et convaincre les Brésiliens qu’ils devaient trouver leur propre voie tous seuls. Il fallait commencer par développer l’auto-estime du pays et valoriser toutes ses richesses. Il fallait affirmer la grandeur et la beauté du Brésil, mais on sait que le Brésilien peut vite tomber dans une certaine exagération verbale !
Les plus belles plages, le meilleur café, le meilleur futebol, les plus belles fesses
L’ufanisme brésilien nous dit donc que le Brésil a les belles plus plages du monde, le meilleur café du monde, les plus belles femmes du monde, la meilleure musique du monde, le meilleur futebol du monde, les plus belles fesses du monde (ça, c’est important !), la plus grande forêt du monde, le plus formidable carnaval du monde… Que sais-je encore ! C’est plutôt joyeux et festif, souvent drôle, c’est parfois fatiguant. C’est en tout cas préférable aux formes agressives et guerrières que prend ce genre de déclarations nationalistes dans beaucoup de pays.
Cet ufanisme sera bien évidemment récupéré et utilisé par la politique. D’abord à l’époque fortement nationaliste de Getulio Vargas (1930-1945) où il trouvera sa traduction avec un genre musical : la « samba-exaltation », dont le célébrissime Aquarela do Brasil (Brasil, meu Brasil brasileiro…..) est le meilleur exemple. Le régime militaire (1964-1985) sera totalement ufaniste : il le traduira en slogans répétés à satiété, comme « Personne n’arrête ce pays » ou « Brésil, aime-le ou quitte-le ».
Le terrain favori de l’expression ufaniste a toujours été le sport, en particulier les Coupes de monde de futebol : celle de 1970 qui cumula contexte politique et troisième titre mondial fut un summum du genre ! Et si ça se passe mal, comme en 1950, en finale face à l’Uruguay, ou en 2014, en demi-finale contre l’Allemagne ? On passe alors brutalement de l’ufanisme extrême au pessimisme le plus noir et au dénigrement national. Le dramaturge brésilien Nelson Rodrigues a inventé une expression pour ça : le complexo de vira-latas, ou complexe du corniaud, « un Narcisse à l’envers qui crache sur sa propre image », précise-t-il.