L’homosexualité, ça se soigne ? Alors que l’Organisation mondiale de la santé a reconnu il y a presque 30 ans qu’il ne s’agissait pas d’une maladie, la question a resurgi au Brésil le 15 septembre dernier. Par injonction judiciaire, un juge du District Fédéral a déterminé que les psychologues du pays ne pouvaient être empêchés de fournir des traitements en vue d’une réorientation sexuelle, surnommés « cura gay » (« guérison gay »).
La « cura gay », interdite depuis 1999
Depuis 1999, le Conseil fédéral de psychologie (CFP) interdit en effet à ses membres d’exercer la moindre thérapie ayant pour but de changer l’orientation sexuelle d’un patient. Eliseu Neto, psychanalyste et coordinateur national chargé de la diversité du Parti populaire socialiste, indique à Bom Dia Brésil que les manœuvres pour imposer la « cura gay » reviennent régulièrement. En 2013, un député fédéral du PSDB avait obtenu par la Commission des droits de l’homme et des minorités de la Chambre une suspension de l’interdiction avant de la faire annuler sous la pression de son propre parti et de mouvements populaires. D’autres députés de partis conservateurs ont retenté leur chance depuis, sans obtenir gain de cause.
Cette fois, la décision est donc judiciaire, le juge Waldemar Cláudio de Carvalho répondant favorablement à une demande d’action populaire qui estime que le CFP pratique un « acte de censure » en interdisant toute recherche ou traitement de l’homosexualité. Pour le magistrat, qui s’est défendu de considérer l’homosexualité comme une maladie, le veto imposé par le CFP est contraire à la Constitution.
Il y a beaucoup de psychologues liés aux églises évangéliques, qui sont gigantesques et pensent que la psychologie peut fonctionner.
Eliseu Neto s’inquiète de cette nouvelle ouverture trouvée par les milieux conservateurs et religieux : « Un juge peut décider ce qu’une profession peut faire ou pas alors que l’interdiction de la cura gay avait été déterminée par un conseil de professionnels. » « Les psychologues ne seront pas forcés de proposer ces traitements et la majorité ne les cautionne pas, mais cette autorisation judiciaire donne en effet un air institutionnel », opine Alexandre Valverde, psychiatre à São Paulo, joint par Bom Dia Brésil.
Pourtant, ce sont bien des psychologues qui sont à l’origine de l’action populaire validée par le juge Carvalho. « Il y a beaucoup de psychologues liés aux églises évangéliques, qui sont gigantesques et pensent que la psychologie peut fonctionner comme outil de contrôle », explique Alexandre Valverde. « Je ne pense pas que ces psychologues eux-mêmes croient en ces traitements, ce ne sont pas des professionnels sérieux, ils cherchent à gagner de l’argent par le biais des églises évangéliques », renchérit Eliseu Neto, avant d’ajouter : « Des études ont déjà été menées sur l’homosexualité, par Freud lui-même dès les années 1930 qui ne la considérait pas comme une maladie. On ne peut pas offrir un service qui n’est pas prouvé scientifiquement et donc n’existe pas ! »
Certaines thérapies font appel à des chocs électriques, tout est fait pour effrayer la personne, c’est de la torture psychologique et physique.
Les méthodes extrêmes qui seraient utilisées dans les thérapies de réorientation sexuelle provoquent d’autant plus le malaise chez ses opposants. « Certaines font appel à des chocs électriques, tout est fait pour effrayer la personne, c’est de la torture psychologique et physique », affirme Wescla Vasconcelos, travesti et fondatrice du collectif carioca ComuniDiversidade, contactée par Bom Dia Brésil. Alexandre Valverde évoque, d’après des témoignages, des viols subis par des femmes homosexuelles dans des centres en Colombie : « C’est complètement anachronique, des méthodes violentes et perverses autorisées par les institutions au nom d’une religiosité archaïque et primaire, qui vont produire des dégâts énormes sur les patients ».
Pour le CFP, qui va recourir de l’injonction du juge de Brasilia, autoriser ce genre de thérapie risque également d’augmenter l’intolérance envers la population LGBT. Le Brésil est déjà le pays comptant le plus d’homicides volontaires commis contre des personnes LGBT avec 300 morts par an, selon la Folha de S.Paulo.
Plus de violence au sein des familles
« La possibilité de considérer l’homosexualité comme réversible impose de manière évidente plus de stigmates d’exclusion voire de violence à l’encontre d’un supposé "problème" qui devrait être éliminé. Voilà les conséquences de ce genre de décision, qui scelle quelque chose qui n’a aucune preuve scientifique et provoque, dans de nombreux cas, de la violence au sein des familles où des membres seraient LGBT », a déploré auprès du quotidien brésilien Pedro Paulo Bicalho, l’un des responsables du CFP.
« Les parents vont penser que la sexualité de leur enfant peut changer et ce dernier, qui souffre déjà beaucoup, va devenir, avec ces thérapies, un allié de la répression qui règne au Brésil », souligne Eliseu Neto. « Des gens pensent encore que la sexualité est une option, comme si les homosexuels allaient choisir ce qu’il y a de plus dur pour eux », ajoute Alexandre Valverde, qui rappelle que le rôle du psychologue n’est pas de réorienter les homosexuels, mais bien « de les aider à supporter la confrontation avec leur orientation sexuelle ».
Le cher prix payé pour les droits LGBT
Malgré la mobilisation de larges mouvements d’opposition à la décision du juge Carvalho, aussi bien dans les milieux LGBT qu’au sein de la classe politique et du milieu culturel, le magistrat a maintenu lundi son injonction. Même si elle risque d’être retoquée en deuxième instance voire, en dernier recours, par la Cour suprême brésilienne.
Un bon espoir qui ne rassure pas pour autant Wescla Vasconcelos : « Cette décision est agressive et irrespectueuse, c’est une régression dans la conquête de nos droits, illustrant l’avancée actuelle du conservatisme et du fondamentalisme religieux au Brésil autant dans le milieu juridique que médical. » Pour Eliseu Neto, le mal est fait avec une nouvelle médiatisation offerte à des mesures conservatrices. Le prix à payer pour la conquête des droits LGBT au Brésil, selon lui : « Les avancées sur les libertés ont provoqué dans le même temps une avancée des positions conservatrices. »