Trem das Onze et Saudosa Maloca, vous connaissez ? Ces deux titres font partie des sambas les plus célèbres du Brésil. Leurs interprètes, le groupe des Demônios da Garoa, y chantent des anecdotes, des petites histoires toujours fortement imprégnées du climat pauliste. Dans leur antre de Mooca, Bom Dia Brésil a rencontré Izael, Sérgio Rosa, Ricardinho et Dedé Paraizo, les intégrants de la formation emblématique de São Paulo.
Les Demônios da Garoa existent depuis 76 ans, ce qui vous permet d’apparaître dans le Guinness Book des records comme le plus ancien groupe au monde. Pouvez-nous nous raconter votre histoire ?
Le groupe est né en 1943. A la base, c’était un groupe de jeunes amis qui se réunissaient d’une manière informelle pour jouer de la musique. Après avoir participé à un concours sur une radio, qu’ils ont remporté, le groupe s’est peu à peu professionnalisé. Des membres sont partis, d’autres musiciens ont intégré le groupe. Nous sommes la troisième génération et nous avons encore de belles années devant nous !
D’où vient ce nom de Demônios da Garoa (Les démons de la pluie fine) ?
Ils s’appelaient alors le Grupo do Luar (le Groupe du Clair de Lune). L’animateur d’un programme de radio auquel nous participions a trouvé qu’il fallait changer ce nom. Donc un concours a été organisé pour que les spectateurs fassent leurs suggestions. Et le journaliste nous annonçait sur les ondes en parlant de ces « endiabrados grupo do luar » (ces diaboliques du groupe du clair de lune). Et un auditeur a pensé à ce mot de demônios (démons). Comme c’était un groupe vocal spécifiquement de São Paulo, est venu le complément da garoa, comme São Paulo est surnommée Cidade da garoa (la ville de la pluie fine).
Le groupe est également célèbre pour sa collaboration avec le compositeur et acteur Adoniran Barbosa, qui a écrit de nombreux textes mis en musique par les Demônios. Comment s’est-il retrouvé à participer à cette aventure ?
En 1949, ils ont connu Adoniran Barbosa sur le tournage du film O Cangaçeiro. Par la suite, tout ce qu’il a composé, il l’a amené pour les Demônios. En 1951, il leur a composé une première samba : Malvina. Le groupe a été champion du carnaval. L’année suivante, même chose avec Joga chave.
Mais votre succès ne s’en est pas tenu à seulement la capitale pauliste. L’un de vos titres, Trem das Onze, qui raconte l’histoire d’un amoureux devant quitter sa douce pour prendre son train et rentrer chez lui, a été consacré en 1965 meilleure chanson du carnaval… de Rio !
Cette chanson a en effet une histoire très particulière. On a commencé à la chanter à São Paulo et il n’y a pas eu un immense retentissement. Puis elle a commencé à passer sur les ondes cariocas où il y a eu plus d’engouement. Jusqu'à ce qu’en effet elle soit désignée comme meilleure chanson du carnaval de Rio pour l’édition des 400 ans de la ville. Une samba pauliste qui conquiert les Cariocas, ce n’est pas rien. Trem das Onze a même été élue parmi les plus grandes sambas de l’histoire brésilienne. C’est un succès incontesté depuis 55 ans.
Qu’est-ce qui explique, selon vous, que le succès de votre groupe perdure ?
En 76 ans, nous avons pu créer un fort lien affectif avec notre public. Et dans ses paroles, Adoniran Barbosa fait le portrait de São Paulo. Donc ces histoires parlent à tous. Nos musiques ne passent pas toujours à la radio, mais on sait qu’elles touchent le coeur de notre public. Et toutes les générations d’une famille : des petits-enfants aux grands-parents.
Vous êtes même souvent considérés comme « Patrimoine de São Paulo »…
Gagner ce titre, c’est en effet une grande fierté. C’est le fruit de beaucoup de travail et de reconnaissance de tous ces services offerts à la musique de São Paulo.
Les textes de vos chansons ne sont pas toujours composés dans un portugais académique. Pourquoi ?
Il faut remonter à l’époque de Saudosa Maloca, un des principaux succès des Demônios. Cela a été un tournant. Jusqu'à cette époque, les Demônios chantaient les musiques de manière correcte, avec un bon portugais. Et un jour, mon grand-père allait jouer dans le centre de São Paulo dans un club de musique. Il est passé devant un cireur de chaussures et il a prêté attention au langage propre de la rue que les gens utilisaient, les gens du peuple, comment ils parlaient au quotidien. Pour rire, il a décidé d’inclure ça dans Saudosa Maloca. Un directeur de la radio est passé et les a entendus chanter comme ça : il leur a demandé de chanter de nouveau. ils ont cru qu’ils allaient se faire gronder… Mais il leur a annoncé qu’il avait aimé et qu’il voulait qu’ils chantent comme ça pour le programme. C’est devenu un grand succès. Même Adoniran Barbosa, qui avait composé la chanson, quand il l’a entendue comme ça la première fois, a dit : « Vous avez gâché ma chanson ». Mais quant il a vu la répercussion qu’elle avait, c’est devenu aussi pour lui une ligne de composition des chansons suivantes. Ce qui en a donc fait une de nos caractéristiques, en plus de la tenue que l’on utilise sur scène, qui est toujours la même depuis le début, les arrangements vocaux.
Qu’est-ce que la samba pour vous ?
C’est notre vie ! Mais aussi de la joie et la racine de la musique populaire brésilienne. Elle a une force incroyable parce qu’apparaissent des tas de genres musicaux, mais la samba toujours survit. Le peuple brésilien adore la samba. C’est le point commun entre tous les Brésiliens.
En juillet, vous allez jouer face au public français lors du Festival des Escales, à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique)…
Nous sommes très excités de participer au festival des Escales. C’est la première fois, malgré les 76 ans d’existence du groupe, que nous allons jouer à l’étranger. Emmener notre art, notre culture en Europe. Nous allons nous donner au maximum pour faire bonne impression concernant tout ce que nous avons construit au Brésil jusqu'à maintenant. Nous sommes très contents de montrer cette trajectoire, comme un hommage à São Paulo. Préparez-vous pour nos « quais quais quais » et nos « ding ding dong » (des sons chantés, caractéristiques de leur musique, ndr) !