Réalisateur franco-marocain, Nabil Ayouch a déjà vu deux de ses films, Ali Zaoua et Mektoub, ainsi que son documentaire Les chevaux de Dieu représenter le Maroc aux Oscars. Il était la semaine dernière à São Paulo pour présenter, dans le cadre du festival Varilux de cinéma français, son dernier opus : Razzia. Il est venu au Brésil en compagnie de son épouse, Maryam Touzani, réalisatrice elle aussi, mais également actrice, puisqu'elle tient le rôle principal dans Razzia. Bom Dia Brésil les a rencontrés.
Comment le public brésilien a-t-il réagi à la diffusion de Razzia ?
Nabil Ayouch : Ça été particulièrement touchant de voir à quel point - je m’y attendais un peu, mais pas autant - les Brésiliens se sont reconnus dans le film, en tout cas dans des problématiques qui étaient les leurs. Des points de comparaison, des parallélismes : l’identification a été très très forte tout au long du débat après le film.
Plus qu’en France ?
Je n’ai pas forcément envie de faire des comparaisons. Mais il y a certainement entre les deux peuples beaucoup plus de similitudes évidemment qu’avec la France. Mais en même temps, en France aussi, il y a beaucoup de femmes qui sont venues nous voir en disant : ce que vit Salima (le personnage principal du film interprété par Maryam Touzani, ndr), je le vis aussi dans mon quartier, dans ma banlieue. Mais c’est vrai qu’en termes de schémas de société, on est dans des choses qui se ressemblent plus que ce que j’imaginais.
Maryam, c’était la première fois que vous passiez de l’autre côté de la caméra. Comment s’est passée cette expérience pour vous ?
Il y avait quelque chose d’assez naturel là-dedans parce que je sais que ce que je vis en tant que femme dans l’espace public ressemble tellement à ce que vit le personnage dans le film, qu’il y avait quelque chose de très naturel à être dans cette voie et aussi quelque chose de très important pour moi qui était de donner une voix à ces luttes-là qu’on connaît très peu et que j’avais vécues autrement en dehors du film.
Quels ont été les retours des Brésiliennes sur votre rôle durant la présentation au public ?
C’était très touchant parce que la condition de la femme ici n’a rien à voir avec ce qu’elle est au Maroc. Enfin, c’est ce que je pensais en tout cas. Mais on m’a dit qu’il y avait beaucoup de machisme au Brésil et je ne savais pas du tout ça. J’imaginais autre chose, donc les retours des autres femmes m’ont vraiment touchée parce que je me suis rendu compte qu’il y avait vraiment quelque chose qui nous liait et qui liait le personnage de Salima à des femmes qui sont dans un pays tellement différent au premier abord.
Nabil, votre dernier film, Much Loved, a été censuré au Maroc, son actrice principale a été agressée violemment et vous avez reçu des menaces de mort. Comment se relance-t-on dans un nouveau projet après ce genre d’événements ?
Par désir et par le lien, l’attachement profond qu’on a vis-à-vis de ce pays. Much Loved, ça a été une des preuves, une façon pour moi de tester cet attachement au Maroc. Je me suis rendu compte que ma place était encore là-bas et que j’avais encore des choses à dire. Ceux qui avaient voulu briser ce lien n’y avaient pas pensé, n’avaient par conséquent pas réussi. Donc j’ai eu envie de répondre à toute cette campagne. J’avais envie de répondre à tout ça, mais autrement, différemment. En parlant d’hommes et de femmes dans ce pays que j’ai connus, qui m’ont inspiré, que j’ai aimés et que j’aime encore depuis une vingtaine d’années et de montrer des personnages qui sont en lutte, chacun et chacune à leur manière.
L'organisation d'un festival tel que le Varilux au Brésil, c’est important pour pouvoir parler du cinéma marocain et de diffuser votre travail ?
Nabil Ayouch : Clairement. Je crois que s’il n’y avait pas un festival comme ça, le Brésil serait un marché beaucoup plus compliqué à pénétrer. Je l’ai fait avec un de mes films précédents, Ali Zaoua, Whatever Lola wants, mais l’amplitude de diffusion n’était pas du tout la même. Vous imaginez, là je crois qu’on est dans 80 villes, il y a 200.000 spectateurs à peu près qui viennent voir nos films. Donc pour un distributeur brésilien, c’est beaucoup plus rassurant d’acheter un film, sachant qu’il y a toute cette dynamique autour qui va favoriser non seulement la diffusion du film, mais aussi des débats, les discussions, les rencontres.
Nabil, vous avez beaucoup beaucoup oeuvré pour le cinéma marocain...
Oui, j’ai produit beaucoup de jeunes réalisateurs et réalisatrices au Maroc depuis 20 ans. Courts-métrages, documentaires, premiers longs-métrages. Je produis d’ailleurs le premier long-métrage de Maryam après ses deux courts-métrages qu’elle tourne à la rentrée et c’est vrai que la notion de transmission a toujours été importante pour moi. Parce qu’on m’a appris que je suis devenu réalisateur et il y a au Maroc aujourd’hui une nouvelle génération de cinéastes qui s’appuient vraiment beaucoup plus sur les problématiques de société pour parler de leur pays qui émergent et qui essayent de s’exprimer librement. Ce n’est pas toujours facile.
Il y a encore des problèmes de censure au Maroc, même si cela ne porte pas forcément ce nom ?
Bien sûr. Oh ça porte ce nom. Il y en a relativement moins qu’ailleurs, mais il y en a. Je dis ça par exemple parce que Razzia vient d’être totalement interdit en Egypte alors qu’il est certes interdit aux moins de 16 ans, mais tout de même diffusé au Maroc. L’Egypte est un pays dans le monde arabe où la censure est vraiment très forte. Et ça a empiré au cours des dernières années.
La diffusion via Internet, même si elle n’est pas toujours légale, ne permet-elle pas de diffuser tout de même les oeuvres ?
Nabil Ayouch : Les oeuvres circulent. On peut se consoler en pensant ça.
Maryam Touzani : Much Loved a été vu plus de 35 millions de fois au Maroc grâce à Internet.
Nabil Ayouch : Oui, c’est vrai. On parle de six millions de DVD pirates vendus. Donc c’est un peu les limites de la censure.
Maryam, quel sera le sujet du premier long-métrage que vous vous apprêtez à réaliser ?
On va tourner à partir de fin octobre. C’est l’histoire de la rencontre entre deux femmes : une mère célibataire enceinte de huit mois qui veut accoucher et se débarrasser de son enfant car au Maroc, un enfant illégitime a une vie très difficile derrière et une mère d’enfant illégitime pareil. Cette femme va finir par être accueillie par une jeune veuve qui s’est totalement fermée à la vie et travaille très dur pour survivre avec sa fille de 10 ans. Elle va l’accueillir chez elle. Et l’idée, c’est de voir comment cette jeune femme va réapprendre à la femme plus âgée à vivre et comment cette autre femme va essayer de l’aider à accepter l’enfant qu’elle porte. C’est vraiment une histoire de rencontre entre deux femmes.
En savoir plus sur le film :
A Casablanca, entre le passé et le présent, cinq destinées sont reliées sans le savoir. Différents visages, différentes trajectoires, différentes luttes, mais une même quête de liberté. Et le bruit d’une révolte qui monte…. |