« J’ai voté blanc au premier tour et il y a de fortes chances que je fasse pareil au second. » Edvaldo, 43 ans, est employé à l’hôpital Sirio Libanês de São Paulo et chauffeur Uber à ses heures perdues. Dans cette élection présidentielle brésilienne, il dit avoir été déçu par tout le monde : « Je n’ai trouvé aucun candidat qui soit en accord avec ce que je pense et cette campagne électorale a été totalement lamentable : Bolsonaro et Haddad n’ont cessé de s’attaquer l’un l’autre. Et en dehors de ça, on n’a pas vraiment su quels étaient leurs programmes. »
Plus de 10 millions de Brésiliens ont voté blanc ou nul au premier tour et près de 30 millions se sont abstenus, alors que le vote est obligatoire. La très forte polarisation de cette élection 2018, qui réunit au second tour les deux candidats aux plus forts taux de rejet, incite-t-elle les électeurs à refuser de décider ? Pour Carlos Savio Gomes Teixeira, professeur de sciences politiques à l'Université fédérale fluminense (UFF), « les votes blancs et nuls à 8-9 % et l'abstention à 20 %, cela reste dans la norme brésilienne. C’est un peu plus que d'habitude (l’abstention a atteint son niveau le plus haut depuis 1998), mais cela ne représente pas une grosse différence. Cela a peut-être même empêché Bolsonaro de gagner au premier tour : avec une abstention plus forte et davantage de votes non valides, il aurait pu l'emporter. »
« Dégoûtés des politiques »
Selon le politologue, les analystes s’attendaient même à une abstention beaucoup plus forte « en raison du climat de défiance générale vis-à-vis de la politique en général. » Jonas, pauliste de 65 ans, fait partie de ces électeurs « dégoûtés par les politiques de ce pays depuis de nombreuses années ». Il ne votera ni pour Fernando Haddad, ni pour Jair Bolsonaro dimanche : « Pour être honnête, je ne suis même pas certain que je me déplacerai pour voter. Ces politiques font tout pour nous embobiner pendant les campagnes et après, au final, il ne se passe pas grand-chose. J’ai travaillé toute ma vie, je me donne les moyens de pouvoir m’offrir une vie décente, tout comme j’ai tenté de le faire pour mes trois filles. Personne ne m’a jamais aidé à améliorer ma situation. Alors non, je ne crois plus en eux depuis longtemps et rien ne me fera changer d’avis. »
Le refus du retour du PT au pouvoir
Reste que dans cette élection 2018, de nombreux électeurs font le choix délibéré de voter blanc, nul ou de s’abstenir parce qu’ils ont décidé de renvoyer les deux candidats du premier et du second tour dos à dos. « A ce stade, les gens qui ne se sont pas positionnés ne vont pas le faire », observe Carlos Savio Gomes Teixeira, d’autant plus que la campagne du second tour n'a pas changé grand-chose : « Les intentions de vote sont cristallisées depuis le 1er tour. Haddad a fait des efforts pour se recentrer. Mais sans grand effet. C'est une élection curieuse, où les gens ne veulent rien entendre. Il y en a même qui reconnaissent que Bolsonaro est aussi mauvais que ce qu'on dit de lui. Mais malgré tout, beaucoup d’électeurs le préfèrent lui à un retour du PT (Parti des travailleurs). L’élection est devenue un référendum sur le retour du Lulisme et du PT au pouvoir. »
Le PT représentait un espoir pour le pays, mais dès le départ, son vrai projet, c'était de conquérir le pouvoir.
Paula, 42 ans, haut fonctionnaire à Brasilia, a choisi de voter blanc à ce référendum sur le retour du parti de Lula à la tête de l’Etat, comme plusieurs de ses amis : « Le PT a pris le Brésil en otage depuis très longtemps. Il représentait un espoir pour le pays, mais dès le départ, son vrai projet, c'était de conquérir le pouvoir. Il a construit le plus grand réseau de corruption qu'ait connu le Brésil pour garder ce pouvoir. Et même les projets sociaux qui ont été menés étaient conçus pour ça. Pourtant, Fernando Haddad est quelqu'un de bien, il aurait pu être un autre type de candidat. Mais le PT c'est un parti qui a un propriétaire, Lula. »
Haddad, c'est un bon politique, mais il est dans le mauvais parti.
Lucia, 37 ans, ingénieur à São Paulo, est du même avis : « Haddad, c'est un bon politique, mais il est dans le mauvais parti. Ça a été un bon maire de São Paulo. Les ambitions du Parti des travailleurs pour le Brésil, au départ c'était très bien, j'ai déjà voté pour eux par le passé. Dire que le PT va transformer le Brésil en nouveau Venezuela, c'est exagéré, mais ça n'avait pas de sens de les voir revenir. Leur chef est en prison et c'est un parti qui ne fonctionne qu'avec lui. Ils n’ont pas fait d'autocritique sur leurs années au pouvoir ou sur la corruption, ils vont mourir en disant qu'ils ont été honnêtes. C'est un parti en lequel les gens n'ont plus confiance. »
Bolsonaro est un dogmatique. Ses propositions ne sont pas fiables, il arrive de nulle part, il n'est pas préparé.
Ce rejet du PT ne conduit pourtant pas les électeurs ni-ni à se tourner vers le candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro, comme l’ont pourtant fait 49 millions de Brésiliens au premier tour. « Bolsonaro est un dogmatique, il ne va rien proposer pour le pays », poursuit Lucia. « Ses propositions ne sont pas fiables, il arrive de nulle part, il n'est pas préparé. » « Il ne peut pas être une solution », renchérit Paula à Brasilia. « J'entends souvent qu'on parle trop de son discours, que c'est trop facile de le critiquer là-dessus. Mais son discours, c'est lui. Il a été député pendant 27 ans, il n'a jamais rien fait. On ne peut pas éviter ce discours. En plus, il a réussi à faire entrer au Congrès des gens qui ont des positions plus extrêmes que lui. »
« Voter blanc, c’est envoyer un message »
Au final, quel que soit le vainqueur dimanche, les électeurs qui renvoient dos à dos Fernando Haddad et Jair Bolsonaro sont surtout inquiets pour le futur proche de leur pays. « Difficile d’être optimiste actuellement au Brésil », souligne Lucia. « Il y a beaucoup de réformes à faire et le gagnant devra certainement faire face à beaucoup d'agitation, de manifestations. Le climat ne sera pas serein, alors que le Brésil en aurait besoin pour avancer ». Pour Paula, l’important est de protéger les institutions brésiliennes : « Je pense qu’elles sont menacées par le PT comme par Bolsonaro. Pour moi, voter blanc, c'est envoyer un message, refuser ces menaces. C’est refuser le chantage du discours de la peur. »