En 2018, les Brésiliens vont élire un nouveau président. A l’heure où différentes personnalités annoncent si elles se lanceront ou non dans la course électorale, la situation n’a jamais été aussi incertaine. L’éclairage de Juan Jensen, économiste du cabinet 4E Consultoria, pour Bom Dia Brésil. Entretien.
Luciano Huck a annoncé la semaine dernière qu’il ne serait a priori pas candidat pour la présidentielle de l’an prochain. Comment son nom a-t-il commencé à être évoqué ?
Depuis la découverte des différents cas de corruption, l’électeur rejette tous les politiques traditionnels. Ce qui inclut Lula, Bolsonaro, Alckmin, les principaux politiques actuellement envisagés comme candidats. Ce n’est pas une caractéristique nouvelle, puisque c’était déjà le cas pour les municipales en 2016. Ce qui peut d’ailleurs expliquer la victoire de João Doria, un entrepreneur, à São Paulo. Les électeurs sont donc aussi à la recherche d’un candidat nouveau sur le plan national.
Luciano Huck a commencé à être actif en politique récemment, au sein du mouvement Agora!, qui compte également parmi ses rangs des entrepreneurs, parmi lesquels Abilio Diniz. Ce mouvement appuie des candidats de divers horizons en fonction de leur compétence. Ils ont récemment effectué une sélection de quelques candidats qui recevront leur soutien, y compris financier.
Huck, discutant avec le DEM (Démocrates) et le PPS (Parti populaire socialiste), montrait cette volonté de s’impliquer, de participer plus activement. De ce fait, son nom a commencé à apparaître dans les sondages. Dans le dernier réalisé par l’Ibope pour la présidentielle, avant qu’il annonce qu’il ne se présenterait pas, il figurait en 4e position dans l’hypothèse où Lula était candidat, et 3e si Lula ne l’était pas.
Pourquoi sa candidature a-t-elle été aussi rapidement entrevue comme un choix potentiellement pertinent ?
C’est un entrepreneur, un artiste qui dans l’absolu n’aurait pas besoin de s’impliquer dans la vie politique, qui a même créé un volet social dans son émission télévisée, donc il est bien vu par la population. Huck représentait cette personne venant de l’extérieur, captant la volonté de nouveauté des électeurs. Très connu pour son programme sur Globo depuis plus de 10 ans, il réunit aussi diverses caractéristiques de ce que les électeurs aimeraient trouver chez un candidat : jeunesse, succès, bonne formation et le fait de bien parler. S’il s’était présenté, il est probable que les intentions de vote auraient progressivement augmenté.
Comment peut-on expliquer les bons résultats de Lula dans les sondages, qui ne semblent pas cadrer avec une idée de renouveau ou de candidat propre vis-à-vis de la corruption ?
Lula est un cas très intéressant qui amène les élections de 2018 à être fort complexes. Il a été condamné en première instance (NDLR: pour corruption passive et blanchiment d'argent), et si il l’est en seconde instance, il sera classé « ficha suja » et ne pourra pas participer aux élections. On ne sait pas quand ce jugement en seconde instance aura lieu, mais on parle d’une possibilité que ce soit entre juin et août 2018. Si la condamnation est maintenue, et sauf rebondissement judiciaire, le PT (Parti des travailleurs) devra alors changer de candidat si la décision sortait après le 15 août. En revanche, s’il est innocenté, son nom gagnera d’autant plus en force. Les élections de l’an prochain vont donc se dérouler dans un contexte intéressant, mais particulièrement incertain.
Lula a d’autant plus d’intentions de votes que beaucoup croient en son innocence, qu’il est victime d’une injustice. Une autre partie de ses électeurs regardent leur situation et celle de leur famille en termes économiques. Une situation qui était bien meilleure lorsque Lula était président. C’est une nostalgie de cette époque et l’espoir qu’elle puisse revenir qui les amène à vouloir lui donner leur voix. Sous Lula, le pays a connu une forte croissance, le secteur public n’avait pas de grands problèmes concernant les dépenses, le taux de chômage était faible. Ce qui explique que par exemple dans le Nordeste, Lula recueille plus de 60% d’intentions de vote. En revanche, si en 2002, il était dans une dynamique consensuelle, il pourrait déployer une politique inverse, ayant été fortement blessé par ceux qui lui ont tourné le dos ces dernières années.
Comment peut-on expliquer par ailleurs le succès rencontré par Bolsonaro ?
Bolsonaro attire un électorat traditionnel, qui est actuellement très préoccupé par la question des violences urbaines ainsi que les problèmes de trafic de drogue, qui se sont accentués ces derniers mois dans divers Etats. Son caractère conservateur séduit également particulièrement les électeurs du Sud. Sur le plan économique, Bolsonaro est très interventionniste et il tend se détacher de cette image, voulant se montrer libéral, sans doute pour séduire les financiers.
On parle de Ciro Gomes, João Doria ou Marina Silva comme troisième voie, mais ils ne représentent pourtant pas ce profil de nouveauté en politique…
Les trois peuvent être une troisième voie dans le sens où ils en terminent avec la dualité PT et PSDB (Parti socio-démocrate). Mais Ciro et Marina sont en politique depuis longtemps, ils ont été ministres de Lula, donc ils ne peuvent pas espérer incarner la nouveauté. Tout comme Alckmin, qui a déjà été plusieurs fois gouverneur de l’Etat de São Paulo. Doria, bien que de manière effective plutôt nouveau en politique, a brûlé les étapes dans ce processus de se lancer à la conquête du Planalto. Il n’a pas véritablement convaincu les propres Paulistains, qui ont l’impression qu’il a abandonné la ville. Mais il demeure pourtant une option, bien que ce ne soit probablement pas celle du PSDB. Si ce parti choisit Alckmin, Doria devra se trouver un autre parti pour pouvoir participer aux présidentielles. Les invitations ne manquent pas, mais reste à savoir s’il va vouloir prendre ce risque dans la mesure où le rejet de sa politique a beaucoup augmenté au cours des derniers mois.
Les élections sont dans moins d’un an désormais. Reste-t-il assez de temps pour qu’un candidat nouveau et crédible apparaisse ?
Oui, c’est encore possible ! Les candidats ont jusqu’au 15 août 2018 pour se présenter. D’autres noms, d’autres protagonistes, vont être testés si Huck n’est plus une option - même s’il peut encore changer de décision. Mais pour s’affilier à un parti politique, il faut se décider avant le mois de mars. Il faudra cependant tenir compte de deux facteurs importants pour la campagne de l’année qui vient : le candidat doit venir associé à un des partis du système politique traditionnel. Sinon il n’aura pas de temps de télévision ni d’argent de financement pour la campagne présidentielle. Le congrès a approuvé un fonds de financement des partis de 1,7 milliards de reais qui va être distribué proportionnellement. Il est difficile aujourd’hui pour un candidat venant d’un petit parti d’être élu au Brésil, avec l’exception peut-être de Bolsonaro qui est déjà connu, notamment en étant très actif sur les réseaux sociaux. Mais aujourd’hui, l’électorat reste encore largement orphelin et est à la recherche de ce candidat du renouveau. Certaines personnes vont tenter de se placer dans cette position.