« Cette école, c’est ma plus grande fierté ». Depuis plus de 20 ans, José Ricardo Ramos gère la Rocinha Surfe Escola, installée au pied de la plus grande favela d’Amérique latine, à Rio. Fondée en 1994, elle est destinée aux enfants en difficulté de la communauté. Une fierté que ce Carioca de 52 ans, sans prétention, aime à promouvoir.
Pour se rendre à cette « maison du surf », il faut descendre à la station de métro São Conrado. On entre alors dans le théâtre de vie que constitue le quartier de la Rocinha où petits stands de nourriture et rodizio de jus de canne à sucre s’entassent devant la station, au pied de la favela. Le local de Ricardo se trouve à quelques mètres, intégré à un complexe sportif flambant neuf. Toujours grand ouvert quand il n’est pas dans l’eau, José Ricardo Ramos, qui se fait appeler simplement « Ricardo », nous accueille sur le parvis où il aime réparer ses planches au soleil.
« Le surf peut sauver des vies »
A l’intérieur de l’établissement, on découvre une école à l’image que Ricardo s’en fait : simple. Pas d’extravagance. Les murs, remplis de photos souvenirs, abritent des combinaisons en vrac et de nombreuses planches de surf entreposées un peu partout. Un modeste bureau où les papiers, magazines de surf et autres photos relatives au monde de la glisse vient finir de compléter le tableau de ce que le surfeur appelle « son paradis ». Ici, une certitude se dresse, on vit pour le surf.
O Bocão da Rocinha, littéralement la grande bouche de la Rocinha, n’est pas surnommé ainsi pour rien. Loquace, il se fait un plaisir à raconter l’histoire de son école à tous ceux qui s’y intéressent. Ricardo explique qu’il est un ancien surfeur qui s’est rendu compte que « le surf peut sauver des vies ». C’est la raison de son engagement. Ayant lui-même vécu dans la communauté, il considère que sa propre vie a été sauvée grâce au surf : « Cela peut être très compliqué de grandir dans les favelas, on est confronté à la violence et à la criminalité très tôt. Surfer a été mon échappatoire ». Aujourd’hui, diplômé d’un brevet d’éducateur sportif, Ricardo veut offrir ce moyen d’évasion à ceux qu’il appelle « ses enfants ».
« Créer une école de surf gratuite pour les enfants des favelas… Les gens n’y croyaient pas »
Ricardo explique que l’ouverture de la Rocinha Surfe Escola a été « un processus naturel »: « J’ai d’abord commencé par la compétition, puis assez naturellement, j’ai voulu transmettre ma passion ». Aimant être à la plage, dans l’eau, au contact des enfants pour leurs transmettre son expérience, le sportif a eu l’envie d’agir avec son propre outil, le surf, pour le bien de sa communauté. Pour autant, ouvrir une école de surf n’a pas été simple: « Au départ, cela a été dur, les gens ne croyaient pas en mon projet. Créer une école de surf gratuite pour les enfants des favelas, cela n’avait été fait par personne ». Aujourd’hui, le modèle de Ricardo a fait ses preuves. Trois autres associations de ce type existent actuellement à la Rocinha.
Le fonctionnement de la Rocinha Surfe Escola est simple : tout est gratuit. La seule condition est que les élèves doivent être scolarisés dans un établissement public. Les enfants, de 6 à 16 ans, doivent alors s’inscrire au début du semestre pour une durée de six mois. Bocão indique qu’« aujourd’hui, 42 enfants participent à mes cours, et entre 150 et 200 enfants profitent du matériel que je peux leur prêter ». Pour financer son école, Ricardo reçoit des donations de planches : « Je les répare puis j’en vends environ 30 % et laisse le reste à disposition des enfants ». Le professeur de surf travaille avec le secrétariat municipal aux Droits de l’homme de Rio, qui l’aide en envoyant un jeune pour l’assister administrativement sur le modèle d’un service civique.
Loin de vivre dans le confort, Ricardo se débrouille comme il peut pour pouvoir assurer le fonctionnement de son école et donner ses cours tous les samedis. Il dort sur place, le soir, quand les rideaux se ferment et ne réclame jamais rien. Le surfeur accueille tout le monde avec le sourire, prête ses planches, aime prendre des photos avec les invités, sans demander de contrepartie si ce n’est de venir avec un bon esprit et de prendre plaisir à l’écouter. Cette mentalité, c’est ce qui motive certains élèves, de différents milieux sociaux, à venir donner un coup de main, bénévolement, à Ricardo.
« Je serai toujours là, toute ma vie »
Quand on demande au fondateur de la Rocinha Surfe Escola quelles sont ses ambitions pour la suite, il répond avec modestie que son but a été atteint : « Bien sûr, si je pouvais faire plus, je ferais plus, mais j’ai réalisé mon objectif en ouvrant et faisant perpétuer cette école de surf ». Il raconte que les autorités ont souvent voulu lui reprendre son local et remplacer son activité, mais il s’est battu et a réussi à conserver son école au fil du temps. Ce combat contre les pouvoirs publics, Ricardo l’évoque très souvent dans ses échanges comme pour rappeler qu’agir pour une communauté et avoir un réel projet pédagogique n’est pas chose simple à Rio.
En terminant notre échange, Ricardo nous fait également passer le mot qu’il aimerait tout de même « qu’il y ait plus de gens qui s’intéressent à l’école, notamment avec les possibilités du numérique ». Sans trop y avoir réfléchi et pas forcément pressé, le surfeur pense, en fait, à la suite : passer le flambeau. Imaginant des possibilités d’administration à distance grâce au numérique, il ne veut pas que son bébé soit laissé pour compte quand il devra prendre du recul. Pour autant, si Ricardo y pense, il ne compte pas abandonner son école : « Je serai toujours là, toute ma vie, pour m’assurer que tout se passe bien ».