Jeudi aura lieu à Vienne l’étape européenne du concours mondial Mawoma (Music and women maestra), premier concours mondial consacré aux femmes cheffes d’orchestre. Parmi les trois finalistes, l’Italo-Brésilienne Simone Menezes. Visionnaire et charismatique, engagée dans de multiples projets multidisciplinaires et sociaux – comme le projet Guri à São Paulo - aussi bien au Brésil qu’en Europe, et particulièrement en France où elle réside depuis 2016, elle s’est entretenue avec Bom Dia Brésil à quelques jours du prestigieux événement.
Comment est née votre vocation ?
Mon père était musicien amateur, il dirigeait des chorales. J’ai donc toujours été dans ce milieu. J’ai chanté moi-même dans des chorales dès 6 ans, jouant de la flûte et débutant le piano. Je me souviens aussi que vers l’âge de 9 ans, je jouais de la musique avec mes voisines et je les dirigeais déjà. J’aimais être coordinatrice. A 15 ans, j’ai commencé à aider les chefs de choeur dans mes cours de musique. Cela a donc été un chemin vers ce métier plutôt naturel.
Le nombre de cheffes d’orchestre est très faible (4 %), que pensez-vous de la place de la femme dans ce métier ?
En fait, je ne m’étais jamais posé la question jusqu’à ce que j’arrive à un certain niveau de mon parcours où j’ai senti le plafond de verre. La raison, c’est aussi que, par exemple aux Etats-Unis, au Brésil ou même en Australie, qui sont des nouveaux pays pour la musique classique, la tradition est moins forte et donc le poids sur les épaules des chefs d’orchestre est également moins fort. Ainsi, dans ces pays, si tu travailles bien, homme ou femme, tu auras une place. Mais ensuite, c’est vrai que l’on a envie en tant que cheffe de venir en Europe car c’est là où l’histoire est la plus grande. Mais le poids de la tradition est aussi beaucoup plus important en Europe et c’est sûr que c’est très rare de voir des femmes diriger des orchestres. En fait, en réalité, si je suis devenue cheffe d’orchestre, c’est parce que personne ne m’a dit que je n’avais pas le droit. J’ai appris par la suite que je n’avais pas forcément le droit, mais c’était trop tard !
Et aujourd’hui, comment ressentez-vous personnellement ce constat ?
Pour moi, il y a encore une barrière importante, mais il ne faut pas trop y porter attention sinon on n’avance pas. Il y a de nombreuses actions qui sont menées aujourd’hui. Je pense que dans les cinq à six prochaines années, avec les efforts qui sont en train d’être consentis, on va voir du changement.
Le concours Mawoma joue-t-il un rôle dans la promotion des femmes dans votre corps de métier ?
Oui, il a un rôle, absolument. Il a pour but de mettre en évidence le travail de quelques femmes cheffes d’orchestre qui ont des qualités et qui sont parfois un petit peu oubliées. C’est parfois le phénomène qui se passe : on oublie les femmes qui sont là et on ne regarde que les hommes. Ce concours rappelle ainsi aux yeux du monde qu’elles sont là et montre ce qu’elles savent faire.
Vous êtes italo-brésilienne, quelle influence ont vos origines sur votre création artistique ?
Je pense que l’influence de mes origines est très forte. Pour le côté italien, c’est clairement le chant. Grâce au chant on arrive à avoir une interprétation musicale beaucoup plus intéressante. Mon côté brésilien, lui, m’a donné une façon particulière de voir le monde. Il m’a donné un trait de personnalité qui est celui de toujours chercher à faire quelque chose de créatif. Ma personnalité musicale tourne autour de cela. J’ai toujours envie d’innover. Cela serait ennuyeux pour moi de faire toujours quelque chose de la même façon. C’est un peu comme les joueurs de la Seleção (l’équipe brésilienne de football, ndr) : les Brésiliens aiment créer.
Vous êtes justement très souvent qualifiée d’avant-gardiste, y a-t-il des messages particuliers que vous voulez faire passer dans vos compositions ?
Oui, je pense que, comme toute forme d’art, la musique transmet un message et est là pour communiquer quelque chose. Je me pose très souvent des questions importantes sur ce que je veux communiquer à travers ma musique. Il ne faut pas que la musique reste quelque chose de purement élitiste.
Justement, la musique classique est-elle une musique d’élite au Brésil ?
Non, aujourd’hui non. Si vous m’aviez posé cette question il y a 15 ans, j’aurais dit oui, mais beaucoup de projets sociaux très importants liés à la musique classique ont été faits. Ainsi, je pense qu’aujourd’hui, les salles de concert au Brésil sont beaucoup plus mélangées socialement que certaines salles de concert en Europe.
Quelles autres différences voyez-vous entre le Brésil et l’Europe, notamment la France, dans votre métier ?
La musique classique est née en Europe, il y a donc une tradition beaucoup plus forte ici qu’au Brésil. Il y a sûrement plus d’orchestres en France que dans tout le Brésil. Mais, au Brésil, on a utilisé les bases établies en Europe et on les a utilisées pour construire notre musique populaire. Si on regarde la Bossa Nova, cette musique utilise tous les accords que Chopin a utilisés pour faire la musique classique.
Quels sont vos futurs projets ?
Actuellement, je me lance dans un projet dans le nord de la France qui va vraiment commencer la saison prochaine. Je suis intéressée, avec ce projet, par créer quelque chose à long terme. C’est un projet de musique à 360 degrés, pluridisciplinaire. En parallèle, j’aimerais continuer ma carrière, continuer à maîtriser le répertoire classique. Mais surtout, j’aimerais commencer à enregistrer de nouvelles choses comme des musiques latino-américaines oubliées. Je considère que certaines musiques d’Amérique latine sont des trésors avec un potentiel énorme qui peuvent attirer le public. Je voudrais proposer cela dans de grandes salles en Europe.
Et un retour au Brésil, vous l’envisagez ?
Ah je ne sais pas ! Aujourd’hui, je m’investis dans des projets en Europe et en France, mais la musique classique change énormément donc je ne peux pas dire où je serai dans quatre ou huit ans.