Samedi 6 avril, à la Sala São Paulo. Vêtus de noir et concentrés, quelque 120 jeunes musiciens font leur entrée sur scène. Ils s’apprêtent à jouer les premières notes de quatre pièces du répertoire français, de Henri Dutilleux, Maurice Ravel, Claude Debussy et Edgard Varèse. Alliance de musiciens de l’Orchestre jeune de São Paulo et de 14 élèves du Conservatoire de Paris, cette représentation est le fruit d’une collaboration entre les deux institutions vieille de 10 ans.
« Le projet tel qu’on le présente actuellement, à savoir présenter un orchestre unique est né il y a trois ans », explique Bruno Mantovani, directeur du Conservatoire de Paris et chef d’orchestre, à Bom Dia Brésil. « Mais la collaboration avec le conservatoire, Santa Marcelina Cultura, ne repose pas seulement sur des projets de production, mais avant tout ce projet sur l’immersion des élèves du Conservatoire de Paris dans les structures d’enseignement brésiliennes. Des structures brésiliennes qui revêtent aussi un caractère social puisqu’on connaît le programme Guri qui amène les enfants des quartiers défavorisés à la pratique de la musique classique. »
Guri, projet socioculturel
Créé il y a 24 ans, le projet Guri est géré par le secrétariat à la Culture de l’Etat de São Paulo. Il offre la possibilité à des jeunes de milieux défavorisés de bénéficier de cours gratuits de musique et de chant. « Il y a cette volonté de penser que l’exigence de l’apprentissage de ce genre de musique peut permettre à des enfants qui n’ont pas de cadre très fixe de trouver quelque chose qui les canalise et les amène vers le sens, le goût de l’effort », analyse le chef d’orchestre.
Durant leur séjour, outre la pratique de la musique avec les élèves du conservatoire de São Paulo, dont beaucoup sont issus du projet Guri, les jeunes Français sont allés rencontrer d’autres bénéficiaires du programme dans deux Centres d’éducation unifiée (CEU), où ils ont donné des représentations.
« Faire découvrir aux élèves une autre réalité »
Car l’un des objectifs en amenant les élèves du conservatoire de Paris à São Paulo, c’est de leur faire découvrir une autre réalité que la leur, une autre manière d’apprendre la musique. Mais aussi qu’ils prennent conscience qu’en tant qu’artistes, ils ont un rôle à jouer dans la société. Pour Bruno Mantovani, « on a toujours intérêt à aller travailler avec des gens qui n’ont pas le même parcours, le même type d’enseignement et peut-être pas la même vie. Quand j’ai amené les élèves la première fois ici il y a deux ans, ils étaient absolument bouleversés de voir le niveau instrumental atteint par des gamins qui n’avaient pas forcément grandi dans des milieux très favorisés. »
Chloé, 20 ans, estime que ce voyage est une opportunité incroyable : « C’est une grande première pour moi qui ne voyage jamais ! Mais je suis très agréablement surprise par l’accueil chaleureux que nous ont réservé les Brésiliens. » Car si la communication verbale n’est pas forcément des plus aisées, le vecteur commun entre les jeunes Brésiliens et Français demeure leur passion commune : la musique. « Sur les premières répétitions, on a eu un petit peu de mal à se comprendre. Heureusement que la musique, c’est un peu un langage universel : en montrant des exemples, en chantant, on parvient finalement à se comprendre ! »
Si la pauvreté, très visible dans les rues paulistes, a visiblement choqué la jeune musicienne, elle été positivement marquée par le dynamisme des Brésiliens face à la musique : « Ils sont très motivés, réactifs et ont beaucoup d’énergie, envie de jouer tout le temps. »
La menace des coupes budgétaires dans la culture
Véritable source de satisfaction tant pour les élèves que pour le directeur du conservatoire de Paris, ce partenariat semble avoir encore de beaux jours devant lui. Notamment grâce à la grande estime que voue Bruno Mantovani au directeur de Santa Marcelina Cultura, Paulo Zuben, « un homme comme on en voit peu dans une vie de musicien », « qui a une connaissance très aigüe de la musique, un goût pour la modernité et pour l’exigence, et qui a en outre cette volonté de conjuguer cette exigence avec une envie de partager avec le plus grand nombre ».
Pourtant, l’inquiétude plane au dessus de l’institution brésilienne, menacée par des coupes budgétaires dans le secteur de la culture annoncées par le nouveau gouverneur de l’Etat de São Paulo, João Doria. « Pour un gouvernement, avoir quelque chose comme Guri ou l’Osesp, c’est une grande fierté. On exporte des matériaux, des minerais, beaucoup de choses au Brésil. Mais la culture c’est finalement ce qu’il y a de plus riche. Quand on a une structure comme ça, tout le monde a à y gagner, y compris les politiques. »
Un message que les élèves du Conservatoire ont essayé de faire passer au gouverneur de l’Etat de São Paulo en manifestant silencieusement avant le début de la représentation et brandissant des pancartes soulignant l’importance de la culture pour la population. En espérant que le message soit entendu et que l’aventure du projet Guri se poursuive sur une bonne note.