Ancien cadre dirigeant d’une grande entreprise française au Brésil, Christian Pouillaude a vécu, travaillé, voyagé au Brésil depuis plus de 40 ans. Passionné de musique brésilienne (au point de collaborer avec Radio Latina) et de tout ce qui touche à son pays d’adoption, il vit aujourd’hui dans la ville de son épouse, Rio de Janeiro, et collabore avec Bom Dia Brésil à travers une chronique mensuelle intitulée Palabres. Palabres, car on ne peut pas comprendre le Brésil sans saisir toutes les nuances de certains mots du vocabulaire brésilien. Palabres, car ce sont des mots qui prêtent à la réflexion et à la discussion. Le 23e volet de cette chronique se penche sur les origines du mot craque, intrinsèquement lié à l'histoire du football au Brésil...
Le craque portugais vient de l’anglais et du franglais crack pour « champion » et d’une époque où les brésiliens « brésilianisaient » systématiquement les mots étrangers en les transposant en phonétique locale. Ce mot a plusieurs sens en portugais mais ici nous ne retiendrons que sa référence aux sportifs d’exception. Au départ, il n’était même utilisé que pour les footballeurs.
Un crack, c’est un joueur hors pair, un champion hors normes. D’abord, c’est un gagnant, un vainqueur. L’important est de gagner, pas de participer ! Le Brésil n’a guère le culte des « perdants magnifiques » que les Français vénèrent ; en revanche il a la culture du « craque ». Le « craque » par excellence, c’est Pelé, le Roi Pelé, trois fois champion du monde. Il y en a d’autres : Garrincha, Romario, Ronaldinho et Ronaldo mais finalement, pas tant que ça. Car le « craque » doit additionner à un talent footballistique unique une personnalité forte, différente, à qui il arrive souvent des histoires peu banales.
Neymar, craque en sursis
Ce culte du « craque » est tellement fort au Brésil qu’on en arriverait presqu’à croire que le « futebol » est un sport individuel (un crack avec dix assistants) et non collectif. La question que se posaient les journalistes brésiliens, à la veille de la finale de la dernière Coupe du Monde, n’était pas de savoir quelle équipe allait gagner mais qui avait été le crack de cette Coupe russe. S’ils préfèrent bien sûr que les « craques » soient « auriverde » (or et vert), les brésiliens reconnaissent volontiers et admirent tout autant les « craques » étrangers : Zinedine Zidane est entré dans leur liste un certain soir de juillet 1998. Il y figure en bonne compagnie, avec Diego Maradona, Lionel Messi ou Cristiano Ronaldo entre autres !
Pendant quelques années, le Brésil a été en manque de « craque ». Enfin Neymar vint, immédiatement désigné comme futur grand « craque ». Mais la machine semble grippée : il n’a pas gagné de Coupe du Monde, ni même de Copa America ; il n’a pas conquis de Ballon d’Or. On pardonne beaucoup au « craque » en matière de dérives et d’excès…. mais pour autant qu’il gagne. Sinon le retour de bâton peut être méchant : Neymar l’a vérifié ces derniers temps. Neymar est un « craque » en sursis.
Il y a peu de « craques » brésiliens célébrés en dehors du « futebol ». La plus belle exception fut bien évidemment Ayrton Senna. Il a même dépassé le stade de « craque » pour atteindre celui d’un véritable dieu. Il faut dire qu’en plus de son talent et de ses victoires, il avait une personnalité à part, faite de mystères et d’un grand mysticisme. Ses successeurs, Rubens Barrichello et Felipe Massa, gagneront des courses et seront d’excellents pilotes mais pas des « craques » : ils n’ont pas été champions du monde et avaient des personnalités bien trop communes. N’est pas reconnu « craque » qui veut !