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Neymar à Rio le 6 juin 2019 (Fernando Frazão/Agência Brasil)

Neymar : pourquoi les Brésiliens détestent-ils autant leur meilleur joueur ?

Vendredi, la Seleção donnera le coup d’envoi de la Copa América contre la Bolivie à São Paulo sans son meilleur joueur. Neymar s’est de nouveau blessé la semaine dernière face au Qatar en amical. Inquiets les Brésiliens sur les chances de leur équipe de remporter la compétition ? Bien au contraire, une partie est même soulagée de ce forfait.

« Neymar a eu un an pour se refaire et il ne l’a pas fait »

« Neymar, ce n’est pas un joueur de football, c’est une starlette ». Voilà en effet en substance ce qu’on peut régulièrement entendre ces derniers temps dans les conversations d’amateurs du ballon rond brésiliens. Déjà la risée du monde entier lors de la dernière Coupe du monde en raison de ses chutes sur le terrain, l’attaquant du Paris Saint-Germain a achevé d’exaspérer ses compatriotes les moins indulgents avec ses dernières frasques : le coup donné à un spectateur à l’issue de la finale de la Coupe de France et son comportement de mauvais joueur avec un coéquipier de la Seleção qui lui avait fait un petit pont à l’entraînement, sans parler de la récente accusation de viol dont il fait l’objet.

« Lors de la dernière Coupe du monde où la Seleção devait redorer son blason après 2014, les Brésiliens se sont sentis ridiculisés par les pitreries de Neymar. Il a eu un an pour se refaire et il ne l’a pas fait », table Simon Balacheff, spécialiste du football brésilien pour le site Lucarne Opposée.

Neymar, un personnage ambigu

Matheus, supporter originaire du sud du Brésil, explicite : « Il faut différencier le joueur du personnage public. C’est le meilleur joueur brésilien actuel, avec un talent phénoménal. Mais c’est un personnage très ambigu, qui se fait trop remarquer en dehors du terrain, dans les médias, sur les réseaux sociaux. Et cela a fini par se refléter dans son environnement professionnel. »

« Neymar avait un futur vraiment prometteur, il brillait, gagnant beaucoup de titres très tôt, mais il n’est jamais devenu mature. C’est un gamin et il continue à l’être, depuis Santos (son premier club professionnel, ndr) », complète Andre, autre supporter de Niteroi. « Le joueur qu’il est devenu est extrêmement nocif. Il veut cumuler les titres, mais individuellement. Si tu fais cela dans le cadre d’une équipe, comme c’était le cas à Barcelone, où il y a déjà un craque, cela va t’aider. Mais il a été au PSG parce qu’il voulait être la star. Au final, il n’a pas aidé le PSG à progresser et passé un certain âge, il se balade dans les matchs simples et se fait démonter dans les matchs difficiles. On est arrivé à un point où on a du mal à croire à un personnage comme lui, il ne me convaincra plus comme joueur. Tu peux avoir la personnalité que tu veux, mais tu dois comprendre que le football est un sport collectif et qu’il faut se mouiller pour ce collectif. Et malheureusement, de plus en plus de jeunes joueurs sont comme lui. »

Neymar, symbole du football business

En résumé, « Neymar est le résultat de ce qu’est devenu le football : un football business », selon Matheus. « Certes, il représente le football champagne, mais en même temps, il n’a aucun amour du maillot. Il a dit venir au PSG pour relever un défi et il aurait déjà envie de s’en aller. C’est difficile d’aimer quelqu’un que tu n’arrives pas à cerner. »

Pour Anderson Moura, ancien journaliste sportif et auteur de Os 50 maiores defensores da historia do futebol (Via Escrita, 2017), « les attitudes de Neymar en dehors du terrain influencent beaucoup l’opinion des Brésiliens et c’est dommage, parce que c’est toujours un grand joueur ». « Comme il ne joue pas au Brésil et dans un championnat qui n’intéresse pas les Brésiliens, les gens oublient qu’il fait partie du top 5 mondial à cause de son comportement, mais c’est vrai qu’il ne s’aide pas avec ses récentes histoires et a saboté sa relation avec le public », considère-t-il, reprochant aussi à l’entourage de l’attaquant du PSG cette distance instaurée avec les supporters. En effet, comme le fait remarquer Matheus, « on peut comparer Neymar à Cristiano Ronaldo et Messi au niveau du talent, mais ils ont eu une image bien plus positive en dehors du terrain et cela se reflète aussi dans le jeu. Qui a déjà vu Messi donner des coups ? »

Les précédents Romario et Ronaldinho

Le cas Neymar est en tout cas plutôt inédit dans le football brésilien. « Il y a déjà eu des joueurs controversés au Brésil, comme Renato Gaucho, Romario ou Ronaldinho, mais ils ont toujours été respectés pour leur talent et leur amour du maillot. Ronaldinho aussi aimait dribbler et subissait des fautes, mais il n’a jamais donné des coups », se rappelle Matheus. Deco confirme : « Ronaldinho a gagné tous les titres, jouait où il voulait et aimait certes sortir, boire, mais il ne dérangeait personne. Neymar, c’est très différent. »

Un traitement différent expliqué par l’époque qui a changé, selon Anderson Moura. « Les joueurs sont beaucoup plus jugés pour leur attitude qu’avant. Romario était extrêmement authentique, mais controversé, il se serait trouvé dans la même situation que Neymar s’il n’avait pas remporté la Coupe du monde », estime l’ancien commentateur d’Esporte Interativo.

Une sélection remise en question

Toujours est-il que le désamour va jusqu’à une véritable remise en question de sa place en Seleção pour une partie des supporters. « C’est difficile de ne pas le sélectionner, il n’y a pas meilleur que lui à son poste, mais il peut avoir une mauvaise influence sur le groupe et l’ambiance. Il faudrait pouvoir le sélectionner sans qu’il ait le premier rôle car non seulement il ne représente pas le futur de la Seleção (Neymar a 27 ans, ndr), mais il n’aide pas à sa transition », observe Matheus.

Même son de cloche pour Andre, qui, lui, ne le sélectionnerait même pas s’il était Tite : « Le problème de Neymar dans la sélection brésilienne ? C’est tout pour lui. Ses objectifs personnels sont plus importants que ceux du collectif, il ne cherche pas à aider ses coéquipiers, il veut tout résoudre tout seul. Ce n’est pas un leader et quand tu le vois capitaine de la Seleção (Tite a fini par lui retirer le brassard pour la Copa América, ndr), cela donne un bien mauvais exemple, d’autant plus au cœur d’une génération actuelle qui n’est pas bonne. A 27 ans, il aurait dû être le joueur qui aide dans cette période de transition et il ne le fait pas. Il ne fait du bien à aucun groupe auquel il appartient, aussi bien en club qu’en sélection. Et le pire, c’est que les autres joueurs de la Seleção sont dans une attitude où ils affirment eux-mêmes que Neymar est nécessaire pour tout résoudre, ils n’ont aucun esprit compétitif et Neymar lui-même laisse dire cela. »

Quel salut pour Neymar ?

Sur ce point, Anderson Moura concède que « Tite n’a pas bien justifié la sélection de Neymar, mais c’est aussi parce que le Brésil n’a pas de plan B pour jouer sans lui ». D’où un affranchissement de la jurisprudence Douglas Costa ? Le joueur de la Juventus n’avait pas été sélectionné en septembre dernier après un mauvais comportement - il avait craché sur un adversaire en championnat. « Il n’y avait pas de raison que Neymar soit exempté de sanction, mais Tite est un pragmatique, il va privilégier son collectif, Neymar fait partie du groupe donc il lui a donné une seconde chance tout en ne le ménageant pas dans les médias », souligne Simon Balacheff.

Alors que manque-t-il au natif de Mogi das Cruzes (São Paulo) pour se faire pardonner ses écarts ? « Des titres avec la Seleção et qu’il les fasse gagner, en jouant, tout simplement », estime Simon Balacheff. « Le Brésilien moyen ne regarde que les résultats et veut la victoire en Coupe du monde. Or, Neymar n’a pas eu de chance jusque-là, il faudrait en effet qu’il soit plus décisif car les frustrations du public se sont accumulées », renchérit Anderson Moura. Mais Matheus balaye ces exigences d’un revers de la main : « Il n’y a pas à pardonner quoi que ce soit, mais il peut toujours améliorer son image et son attitude. Il lui reste cinq à six ans à jouer, donc peu de temps. Tout ce qu’il a déjà fait est écrit et il ne pourra pas l’effacer. »

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