Ancien cadre dirigeant d’une grande entreprise française au Brésil, Christian Pouillaude a vécu, travaillé, voyagé au Brésil depuis plus de 40 ans. Passionné de musique brésilienne (au point de collaborer avec Radio Latina) et de tout ce qui touche à son pays d’adoption, il vit aujourd’hui dans la ville de son épouse, Rio de Janeiro, et collabore avec Bom Dia Brésil à travers une chronique mensuelle intitulée Palabres. Palabres, car on ne peut pas comprendre le Brésil sans saisir toutes les nuances de certains mots du vocabulaire brésilien. Palabres, car ce sont des mots qui prêtent à la réflexion et à la discussion. Le treizième volet de cette chronique se penche sur jeitinho brasileiro, cette débrouillardise à la brésilienne qui a autant de qualités que de défauts...
Jeito, jeitinho : deux petits mots difficiles à traduire simplement tellement ils comportent de sens différents et de subtiles nuances.
Au départ, le jeito : il désigne notamment le don, le talent, l’habilité, la disposition pour une activité, artistique par exemple. Un terme plutôt flatteur. Dans cette même lignée, l’expression dar um jeito signifie « trouver une solution ». De façon générique.
Mais, déjà, le jeitinho, par la magie du diminutif, prend un autre sens, surtout quand on le qualifie de jeitinho brasileiro. On change presque de catégorie, on passe à autre chose ! Le jeitinho brasileiro, c’est l’astuce, le truc, la malice, la débrouillardise, pour ne pas dire la « petite » tricherie qui permettra d’atteindre son but, d’arriver à ses fins, malgré un contexte totalement défavorable. Pour cela il faudra généralement contrevenir à une règle établie, contourner un règlement, voire même violer la loi. Pour cela, on utilisera surtout des arguments personnels et émotionnels, soutenus par une tchatche séduisante et solidement persuasive ! C’est tout un art, devenu un sport national.
Inventivité et créativité
Car il y a de l’inventivité et de la créativité dans ce jeitinho. Du jeu aussi. Parfois sans limites, parfois à la frontière de la malhonnêteté. Mais il y a aussi une sincère volonté de conciliation, d’éviter l’affrontement, de contourner le conflit potentiel.
On considère souvent et justement le jeitinho brasileiro comme une réaction de défense des plus faibles, des plus défavorisés de la société, qui n’ont pas d’autre moyen pour affronter un pouvoir écrasant, brutal, aveugle, injuste. Comme l’administration publique, par exemple. Car culturellement on préférera toujours la « démerde » individuelle du jeitinho à la révolte collective.
On dira que c’est la réintroduction d’une dimension humaine dans des processus institutionnels, pleins de décrets, d’interdits et de règlements : le jeitinho humanise les règles ! Mais c’est tout aussi une perversion de la vie sociale : chacun se débrouille tout seul et par tous les moyens. C’est l’opposé du principe selon lequel « entre le faible et le fort, c’est la loi qui libère et la liberté qui asservit ». Mais au Brésil la loi dit souvent une chose et son contraire et semble souvent plus faite pour être « détournée » que pour être appliquée ! On glisse vite vers l’impunité et la corruption. Le jeitinho y contribue en remplaçant la logique des « droits et devoirs » par le jeu de faveurs.
Le fait est qu’aujourd’hui, c’est bien souvent ce jeitinho brasileiro qui permet aux choses brésiliennes de fonctionner, de mettre de l’huile dans les rouages, d’assouplir le fonctionnement de la société, de conjurer des drames. C’en est presque devenu une institution nationale !