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Avenida Brasil, l'un des succès les plus retentissants de ces dernières années (DR)

« La novela a un impact sur le quotidien des Brésiliens »

Maria Immacolata Vassallo de Lopes (DR)

Les novelas ne manquent jamais d'éveiller l'attention - et les railleries - de nombreux étrangers venus s'installer au Brésil où elles sont reines des audiences. Mais ici, on ne plaisante pas avec les novelas, qui font partie du quotidien de tous les foyers. Au point que l'Université de São Paulo a créé un centre d'études de la telenovela, coordonné par Maria Immacolata Vassallo de Lopes, docteur en Sciences de la communication. Bom Dia Brésil l'a rencontrée pour décrypter ce phénomène bien brésilien.

Qu'est-ce que la novela ?

La telenovela est un format bien spécifique. Elle est produite dans l’idée d’être une longue histoire qui a une fin, ce qui la distingue d’une série. La novela compte environ 180 chapitres - pas des épisodes - en moyenne. Elle est diffusée du lundi au samedi.

Quand ont été diffusées les premières novelas au Brésil ?

C’est dans les années 1950 que les novelas sont apparues sur les écrans de télévision brésiliens. Et de là est née une grande tradition, on peut parler de la formation d’un goût national, car tout le monde connaît la novela, tout le monde en parle. Et cela a un impact sur le quotidien des Brésiliens.

Les novelas brésilienne et mexicaine sont les plus célèbres en Amérique latine. Sont-elles identiques ?

La telenovela est en effet un genre latino-américain. Cependant, on peut distinguer deux paradigmes : les telenovelas de Globo et celles de Televisa (chaîne de télévision mexicaine, ndlr). Mais elles sont d’un genre très différent et en général les Brésiliens n’aiment pas les novelas mexicaines, parce qu’il y a beaucoup de drame, de larmes qui coulent. Les sentiments sont au centre de l’action et ils sont exacerbés. Il y un côté très exagéré, qui se retrouve dans le jeu des acteurs. Les novelas brésiliennes développent des histoires de la vie des Brésiliens. Elles sont mélodramatiques aussi, mais réalistes. Et elles accompagnent la vie : par exemple à Noël est diffusé un épisode où est également célébré Noël, l’opération Lava Jato est évoquée dans la novela. Elle est très imbriquée dans la vie commune.

Comprenez-vous les critiques qui peuvent en être faites ?

On ne peut pas dire que la novela est mal faite, ce n'est pas un petit produit fait n'importe comment. Globo est l’un des principaux fabricants de novela et investit beaucoup. Acteurs et auteurs sont de qualité, tout comme l'esthétique, et les histoires sont bien racontées. Il y a une marque autorale. Il faut savoir que durant la dictature, beaucoup d'auteurs de pièces de théâtre, fuyant la censure, se sont lancés dans l'écriture de novelas.

Vous parlez beaucoup de Globo, mais des novelas sont aussi diffusées sur d’autres chaînes brésiliennes…

Il y en a en effet qui sont diffusées sur Record, SBT ou encore la Band. Mais actuellement, il existe une sorte d'hégémonie de Globo, qui diffuse sans aucun doute les meilleures novelas. Les autres chaînes se sont spécialisées sur certaines niches. Par exemple, sur SBT, on trouve des novelas pour un public d'enfants et d'adolescents, mais aussi des adaptations de novelas argentines et mexicaines. Quant à la Record, depuis Les 10 commandements, elle s'est spécialisée dans les thématiques bibliques.

En quoi peut-on dire que la novela est au coeur de la vie des Brésiliens ?

C'est un format que les Brésiliens aiment de A à Z et qui les touchent tous puisque l'ensemble du territoire y a accès. Et même s'ils n'assistent pas ou n'ont pas suivi tous les épisodes, ils savent ce qui s'y passe - grâce à des articles résumés et des revues spécialisées - et en discutent. Les thèmes qui y sont évoqués à table en famille, avec les collègues... Et c'est un phénomène qui touche toutes les classes sociales. La novela traite de nombreuses questions complexes qui y sont très bien traitées, comme par exemple celles de l’homosexualité, de la transidentité, des inégalités, de gestation pour autrui, de la violence envers les femmes, les enfants... Jamais elle n'abordera les questions politiques de manière frontale, en évoquant les partis. Mais parler des problèmes de société, c'est politique. Et c'est aussi montrer un caractère progressiste. C'est ce qu'attend le public. Le but de la novela n'est pas de résoudre les problèmes, mais de les soulever et de prôner une forme de tolérance. Il y a donc une véritable fonction éducative de la novela. Il est d'ailleurs intéressant de noter que même s'il s'agit d'une fiction, ce qui y est raconté va souvent être débattu par des professionnels, tels que des médecins, des députés, des journalistes... On aurait presque l'impression que la novela se transforme en documentaire. C'est unique.

Dans une étude menée par la Banque interaméricaine de développement, coordonnée par l'économiste Alberto Chong et publiée en 2009, il était mis en avant que les novelas avaient une influence sur le comportement social des Brésiliens. Notamment en entraînant une baisse du taux de fertilité et une hausse des divorces.

Cette enquête montrait effectivement une réalité : l'effet de démonstration qu'exerce la novela. Comme une publicité ou un journal qu'on aurait sous les yeux, auquel on ne pense pas prêter attention, mais que l'on voit et qui nous transmet tout de même un message. Dans le cas d'une publicité, au bout d'un moment, on finit par avoir envie d'expérimenter le produit. Les novelas montrent souvent des familles avec un ou deux enfants maximum. Avoir moins d'enfants semble être un mode de vie plus moderne et cela a bel et bien une influence à force de voir ce modèle présenté.

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