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La scénariste Corinne Klomp (DR)

« Ecrire dans une langue étrangère, c’est comme une cure de rajeunissement »

C’est ce mercredi que se referme la 10e édition du Festival Varilux de cinéma français. Si l’événement a principalement consisté en la projection de films, il a aussi proposé au début du mois le 3e Laboratoire franco-brésilien de scénario. Sous la houlette de François Sauvagnargues, trois scénaristes français sont venus à Rio apporter leur aide et expertise auprès de 15 projets brésiliens. Bom Dia Brésil s’est entretenu avec l’une des intervenantes régulières, de plus en plus liée au Brésil, Corinne Klomp.

Avant de devenir scénariste pour le théâtre, la télévision ou encore la radio, vous travailliez dans la presse économique. Pouvez-vous nous parler de votre parcours atypique pour commencer ?

Mon dernier travail en entreprise était en effet directrice commerciale et marketing de La Tribune. C’était après un parcours classique de prépa HEC, école de commerce et j’ai ensuite travaillé très jeune en entreprise, à 21 ans, et ce durant huit ans avant de tout plaquer. Ce n’était pas la crise de la quarantaine, mais de l’approche de la trentaine, pour faire un bilan de ce que j’avais vraiment envie de faire dans la vie. Ce qui est sorti de tout cela, c’est que je suis une littéraire dans l’âme et que j’ai toujours aimé écrire. Je voulais écrire plus particulièrement des scénarios donc j’ai quitté mon entreprise et je suis retournée à l’école. J’ai fait un an d’atelier scénario de cinéma à la Fémis (Ecole nationale des métiers de l’image et du son, ndr) puis le Conservatoire européen d’écriture audiovisuelle (CEEA), dans lequel j’enseigne d’ailleurs aujourd’hui. Je me suis mise à écrire des synopsis et projets de scénario pour la télévision, et ça a démarré comme cela.

Vous avez par la suite développé un lien fort avec le Brésil. Comment est-il apparu ?

C’est grâce au CEEA. Son directeur, Patrick Vanetti, a un jour donné mon nom à François Sauvagnargues, ancien directeur de la fiction d’Arte et du Fipa (Festival international des programmes audiovisuels de Biarritz, ndr) qui a une relation très privilégiée avec le Brésil, qui a proposé en 2012 au Festival Varilux d’organiser en parallèle un séminaire autour du scénario pour les Brésiliens. Le premier a eu tellement de succès qu’ils ont décidé d’en refaire un autre l’année suivante et j’ai ainsi été appelée par François Sauvagnargues car j’ai notamment animé beaucoup de séminaires sur l’écriture dramaturgique axée sur le scénario et car je parlais anglais. J’ai donc découvert le Brésil et Rio au printemps 2013, et cela a été un coup de coeur. Je n’avais qu’une envie : y revenir.

Ce qui vous a conduit à vous mettre au portugais…

Oui, car l’année suivante, je suis revenue et même si les ateliers étaient cette fois en français, avec des traducteurs, je me suis sentie assez frustrée de ne pas pouvoir échanger avec les participants. A mon retour en France, je me suis dit que ma bonne résolution serait de me mettre au portugais, ce que j’ai fait en septembre 2014. Au départ, il n’y avait aucun objectif professionnel, c’était juste pour pouvoir mieux échanger et animer les ateliers directement en portugais.

Depuis trois ans, l’atelier a évolué. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Chaque intervenant dirige un groupe de cinq participants de tout le Brésil et de tous les âges, mais déjà en activité dans le cinéma et la télévision, qui ont été sélectionnés après avoir envoyé leur projet de scénario. Et on travaille dessus pendant une semaine. On met vraiment les mains dans le cambouis en essayant de faire progresser les participants sur leur histoire, son articulation, les personnages, ce qu’ils ont envie de dire, soit un vrai travail sur la fondation et la chair même de leur projet. C’est un véritable travail collectif car les participants eux-mêmes donnent leur avis sur le travail des autres. L’objectif du Lab Roteiro est de pouvoir se dire que ces projets-là auront peut-être la chance de voir le jour sur les écrans. L’an dernier, c’est le film Kardec, de Wagner de Assis, qui s’est concrétisé après l’atelier.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les types de sujets choisis par ces « apprentis » scénaristes ?

Il y a beaucoup de scénarios qui sont engagés sur le Brésil. Cette année, le cru était engagé par rapport à l’histoire même du pays, beaucoup d’histoires partaient de légendes brésiliennes existantes. Il y a également eu des projets mettant en avant des femmes, assez jeunes, avec une tonalité un peu grave pour la plupart.

Quelles différences voyez-vous entre les Brésiliens et les Français dans ces ateliers ?

Je ne vais pas me faire aimer des Français, mais je trouve que les Brésiliens sont moins sur la défensive quant à leur projet. En France, le respect et le culte de l’auteur, c’est formidable, mais on les sent toujours un peu réticents au changement. Je trouve les Brésiliens plus « cool » là-dessus, plus généreux dans leur écoute aussi pour participer au projet des autres. C’est très bien de s’accrocher à des choses auxquelles on tient vraiment, mais quand on y tient moins et que cela ne fonctionne pas bien, il est temps de les laisser de côté. J’ai aussi vu au Brésil des professionnels aguerris très ouverts pour écouter autre chose et se nourrir de suggestions au contact de personnes moins connues qu’eux. En France, on est plus élitiste, avec plus de méfiance et d’a priori.

Depuis quelque temps, il n’y a pas que le Festival Varilux pour vous ici. Pouvez-vous nous parler de vos autres projets brésiliens ?

Oui, en parallèle, une autre aventure s’est mise en place au Brésil. D’abord, j’y suis retournée à titre personnel pour y passer plus de temps, visiter le Nordeste, Foz do Iguaçu, São Paulo, j’ai aussi fait des ateliers à Fortaleza et Recife, puis, surtout, l’un des traducteurs franco-brésiliens que j’ai connu au début des ateliers, Antonio Peyri, m’a demandé de pouvoir lire l’une de mes pièces. Je lui ai envoyé Mort (et) Vif, car je pensais qu’elle serait plus susceptible de parler au public brésilien. Et il s’est passionné pour le texte et a décidé de le traduire dans le but de monter la pièce au Brésil. Je me suis mise alors à chercher des contacts dans le milieu théâtral et j’ai rencontré une comédienne, Bia Napolitani, puis un metteur en scène, Isaac Bernat, qui ont beaucoup aimé la pièce et se sont engagés à la monter. Mais cela prend du temps. Pour le moment, on en a juste fait une première lecture en octobre 2017 au Teatro Maison de France, à Rio, mais petit à petit, cela se met en place.

Vous avez également commencé à publier des textes dans la São Paulo Review ?

Oui, São Paulo est une ville que j’ai découverte l’an dernier et que j’ai beaucoup aimé pour son côté très intense au niveau culturel. J’y ai rencontré cette année le directeur de la São Paulo Review, Alexandre Staut, avec qui j’avais été mise en contact dans un premier temps par l’intermédiaire d’un journaliste de la Folha de S. Paulo. Je lui avais envoyé mes chroniques (Corinne Klomp tient également un blog sur le site de Mediapart, ndr) et cela l’a intéressé. Il a voulu en publier une, traduite en portugais, toutes les trois semaines. Ce projet, c’est un peu la cerise sur le gâteau pour moi. C’est très excitant car ce n’est pas le même type d’écriture que je pratique habituellement en France.

Vous avez justement décidé de vous mettre à écrire ces chroniques directement en portugais, le processus est-il différent pour vous selon la langue que vous utilisez ?

L’écriture en portugais, c’est beaucoup plus ludique qu’en français parce que, n’ayant pas appris la langue depuis très longtemps, je me sens libérée du côté « bien écrire ». Je suis plus accrochée à trouver un rythme, des mots qui sonnent, en français aussi d’ailleurs pour les dialogues, je m’amuse un peu avec cela, en m’inspirant aussi de livres que je lis, de Chico Buarque que j’adore. C’est un vrai terrain de jeu, expérimental. Je m’exerce aussi en écrivant des dialogues, ce qui est plus difficile parce qu’il faut que ça sonne juste et en même temps plus facile car l’on n’est pas dans un descriptif littéraire avec des constructions de phrases savantes. Avec ces chroniques, qui sont libres, j’en profite pour me chercher en tant qu’autrice dans une langue étrangère.

Le sujet est forcément en lien avec le Brésil ?

Non, pas forcément, mais les deux textes que j’ai écrits directement en portugais ont un lien avec le Brésil. Le premier est un poème en prose sur les 136 couleurs du Brésil et le second, à paraître, un dialogue basé sur une histoire relativement mystérieuse dans lequel j’ai utilisé un maximum les expressions idiomatiques portugaises. C’est intéressant parce que j’ai à la fois mon raisonnement et mes réflexes français quand j’écris et cette ouverture vers une langue qui n’est pas la mienne. Ecrire dans une langue étrangère, c’est comme une cure de rajeunissement !

Et est-ce que le Brésil a déjà pu vous inspirer dans vos œuvres françaises ?

Pas encore, mais j’y pense ! Pour France Inter, j’écris des fictions historiques mettant en lumière quasiment que des personnages féminins et je suis actuellement en recherche d’une personnalité française, franco-brésilienne ou brésilienne qui ait un lien à la fois avec le Brésil et la France. Et j’ai une idée de roman qui ferait intervenir le Brésil pas en tant que pays, mais via la langue portugaise. Ce n’est que de manière littéraire que je pourrais l’utiliser, pas audiovisuelle.

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