2019 marque les 30 ans de la disparition du dramaturge français Bernard-Marie Koltès. C'est l'une de ses pièces, Quai Ouest (1983), que Cyril Desclés a décidé de mettre à l'honneur dans une mise en scène présentée jusqu'au 13 octobre au Sesc Santo Amaro, à São Paulo. Bom Dia Brésil s'est entretenu avec le metteur en scène français.
Comment est né le projet de cette mise en scène au Brésil ?
Je suis un spécialiste de Koltès et j'avais le sentiment que cette pièce avait beaucoup à voir avec la réalité brésilienne, le clivage avec les riches et les pauvres, sur le plan de la thématique. Je l'avais envoyée en avril 2015 à Carolina Gonzales, la traductrice et l'une des actrices de la pièce, que je connais depuis de nombreuses années. Elle a trouvé qu'elle était formidable, donc nous avons lancé le projet le mois suivant. Je suis venu en mars 2016 pour animer des ateliers aux Sesc Santos et au Teatro da Vertigem, à São Paulo, afin de sélectionner des acteurs. La production a mis du temps à se mettre en place comme c'est un projet lourd avec huit acteurs. En 2018, après les élections, je suis revenu et me suis dit qu'il fallait absolument que la pièce soit montée, car ça résonnait complètement avec la réalité brésilienne. Nous avons monté le spectacle en sept semaines de répétition, ce qui est assez exceptionnel au vu de la dimension de la pièce qui après coupes dans le texte, dure plus de 2 heures.
En plaçant en avant les thématiques des inégalités et de la corruption, cette pièce semble en effet plus d'actualité que jamais au Brésil...
Malheureusement elle colle encore plus aujourd'hui que lorsque le projet a été lancé. Mais comme effectivement je connais bien le Brésil depuis le premier voyage que j'y ai fait en 1995, je savais que la pièce était en phase avec ce pays. Je regrette que la situation soit telle qu'elle est actuellement au Brésil. Mais elle apparaît vraiment comme une métaphore de la situation actuelle du Brésil. Mais l'évolution de la situation brésilienne s'est montrée aussi en phase avec la pièce, c'est ça qui me semble donner une résonnance toute particulière à cette pièce maintenant au Brésil.
Quai ouest semble particulièrement complexe à mettre en scène. Etes-vous satisfait du résultat ?
Elle est en effet très complexe, car il y a une écriture qui n'est pas facile pour les acteurs, il y a énormément de texte. Je suis un insatisfait de nature, c'est aussi dans la nature de mon travail. Mais depuis deux semaines, j'ai une satisfaction particulière du niveau de jeu atteint par les acteurs. Donc oui, je suis satisfait du résultat !
En quoi Koltès est-il un dramaturge incontournable ?
C'est un des rares auteurs dans l'écriture dramatique contemporaine qui aime à raconter de grandes histoires, qui touchent un public. Et ce qui fait la force de son théâtre, c'est qu'il y a des personnages qui contrairement à d'autres écritures, ne sont pas résignés, qui se battent, qui cherchent à s'en sortir, même s'il y a des échecs.
Pourquoi venir voir cette pièce ?
D'abord, il me semble que c'est vraiment important de la découvrir dans le contexte actuel. Il y a une difficulté à faire cette pièce, mais aussi à venir la voir. Il y a aussi une distribution exceptionnelle, avec notamment Sandra Corveloni, qui a reçu le prix d'interprétation féminine à Cannes en 2008, mais aussi Carolina Gonzalez, Giovani Tozi, Janaina Suaudeau, Jefferson Matias, Sérgio Pardal, Marcelo Lazzaratto et Thiago Freitas. Tous servent les propos de l'auteur. Et puis il y a aussi une esthétique extrêmement aboutie entre le décor de Carlos Calvo, les lumières de Guilherme Bonfanti et la bande-son de Aline. Ca donne un résultat vraiment abouti et exigeant, qui peut plaire au public.
Les représentations ont lieu au Sesc Santo Amaro. Les Sesc sont des agents culturels importants au Brésil, menacé par des coupes budgétaires...
Effectivement ce sont des agents culturels et sociaux inestimables et indispensables. Avec les coupes budgétaires faites autour des Sesc, qui sont des prétextes, on cherche à casser un outil social et culturel qui fonctionne bien et qui a même servi de modèle au Cent Quatre à Paris. C'est très dommageable que l'on s'attaque au dit Système S du Sesc, du Senac et autres. Je trouve que c'est une des mesures de destruction qui frappent le Brésil actuellement.