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Raymond Depardon (DR)

Raymond Depardon : « Si je n’avais pas été absorbé par l’Afrique subsaharienne, je serais venu au Brésil »

Le Brésil, une occasion manquée. En 60 ans d’une carrière qui n’est pas près de se terminer, Raymond Depardon aura parcouru le monde, mais ce sont surtout l’Afrique subsaharienne et la France qui auront concentré la majeure partie de son travail photographique et cinématographique. La nation auriverde n’est cependant pas une inconnue pour le photographe français de 75 ans, à l’honneur d’une large rétrospective au Centro Cultural Banco do Brasil de Rio et Sao Paulo. Il s’est confié à Bom Dia Brésil lors de son passage la semaine dernière dans la Cidade Maravilhosa.

La France imaginée par les Brésiliens est bien différente de celle montrée dans vos œuvres, sont-ils surpris ?

Profils Paysans - La Vie moderne (Raymond Depardon/DR)

La chance que j’ai eue, c’est d’être né dans une ferme de la vallée de la Saône, mes parents étaient de petits agriculteurs. C’est une entrée en matière qui est extrêmement simple pour un Brésilien, mais il peut s’y retrouver car le Brésil est aussi un pays agricole avec beaucoup de petites fazendas. Je suis français, mais j’aurais très bien pu être brésilien ! Et d’ailleurs, c’est un point commun que je partage avec mon ami Sebastião Salgado, qui a lui aussi des parents agriculteurs.

Comment avez-vous connu ce dernier, qui a récemment été admis à l’Académie des Beaux-Arts en France ?

Je l’ai connu très tôt après son arrivée en France, en 1974. Il était ingénieur agronome et parlait bien français. On l’a fait entrer à l’agence Gamma et il a travaillé sur une banlieue, La Courneuve. Sebastião a tout de suite eu une approche différente des photographes français : il prenait son temps et il était très lyrique. Même en région parisienne, il se débrouillait pour avoir des ciels qu’on ne voyait pas ! Il arrive toujours à donner une beauté aux choses, aux gens. Ensuite, on est devenu ami et on est allé ensemble à l’agence Magnum.

J’ai une certaine idée du Brésil car je suis venu cinq ou six fois, mais il est vrai que je l’ai découvert un peu tard, car le hasard m’a plus conduit vers les Andes.

Connaissez-vous personnellement d’autres photographes brésiliens ?

Oui, Miguel Rio Branco notamment, que j’aime beaucoup et qui est un très bon coloriste. Il avait beaucoup travaillé sur Salvador. Puis d’autres personnalités comme Gilberto Chateaubriand, le fondateur du Masp.

Cependant, vous avez travaillé en Amérique du Sud (Chili, Bolivie), mais peu au Brésil, pourquoi ?

Etablissement Arnoldo Rios, province de Cantin, entre Temuco et Porto Saaverdra, Chili, 1971 (Raymond Depardon/DR)

J’ai une certaine idée du Brésil car je suis venu cinq ou six fois, mais il est vrai que je l’ai découvert un peu tard, car le hasard m’a plus conduit vers les Andes. Néanmoins, quand j’étais jeune photographe, on parlait déjà beaucoup du Brésil. Quand j’ai fondé Gamma, en 1966, la presse brésilienne (Manchete, Cruzeiro, etc.) nous a apporté un grand soutien et ce jusque dans les années 1980, pour tout le travail de photojournalisme que l’on réalisait à travers le monde entier. Cela a toujours été une récompense pour nous d’être publiés dans les journaux brésiliens. J’ai aussi retrouvé des photos que j’avais prises de Juscelino Kubitschek lors d’une visite à Paris, au Plaza Athénée, l’hôtel de tous les Sud-Américains. C’était un très bel homme, à l’origine de Brasilia, qui était un événement incroyable à l’époque. Puis au même moment, il y a eu le Cinema Novo, avec Glauber Rocha et Nelson Pereira dos Santos notamment, qui m’a fasciné. Ils ont fait des films magnifiques, humanistes, qui m’ont touché beaucoup plus que la Nouvelle Vague car ils étaient moins élitistes, moins urbains et plus tournés vers la ruralité.

La Captive du désert (Raymond Depardon/DR)

L’Afrique plutôt que l’Amérique du Sud donc…

Si je n’avais pas été absorbé par l’Afrique subsaharienne, je pense que je serais venu au Brésil parce qu’il y a une chose que je retenais vu de loin, et je crois que j’avais raison, c’est la beauté de la lumière. Et puis ce lien avec l’Afrique, qui a été illustré à Salvador notamment par un photographe français que je n’ai pas connu, Pierre Verger. De manière générale, les premiers photographes qui sont venus au Brésil et dans les Andes m’ont fasciné. J’ai des regrets, mais l’Afrique m’a mangé la vie et le temps m’a manqué.

Vos travaux personnels sur le Brésil sont ainsi aussi rares que récents avec le court-métrage Chasseurs et Chamans (2003) et une série de photos à Rio en 2004. Parlez-nous de ces deux projets...

Le premier est un petit film magnifique. On m’avait demandé de venir en Amazonie chez les Yanomami pour la Fondation Cartier. Au départ, je leur ai dit : « oh la la, je ne connais pas, la forêt, cela me fait peur, je suis plutôt un homme du désert ». On m’a rassuré, j’étais accompagné de l’ethnologue français Bruce Albert et à un moment, je me suis retrouvé avec trois chasseurs. Ils étaient d’une douceur et d’une gestuelle incroyable quand ils utilisaient leur arc. Il y a une chose que j’ai particulièrement retenue : ils m’ont dit que si j’étais fatigué, il ne fallait pas que je me repose sur un arbre avec mon bras, à cause des fourmis. Je me souviens que je transpirais beaucoup alors qu’eux étaient tous nus, avec une tenue plus adaptée finalement que la mienne. Il fallait en effet marcher, traverser des rivières, et même courir parce qu’ils avançaient tellement vite que je ne voyais que leurs fesses ! Donc il fallait que je les devance pour les filmer de face. Quant à Rio, c’était aussi pour la Fondation Cartier que j’étais venu ici trois jours dans le cadre d’un travail dans sept grandes villes du monde. J’avais carte blanche et j’avais bien aimé avoir ce premier regard, décomplexé, même si après cela, il aurait fallu que j’en ai un second de six mois par exemple.

La « Mostra Depardon Cinema » vient de se terminer au Centro Cultural Banco do Brasil de Rio et São Paulo. Néanmoins, la rétrospective photo « Un moment si doux » se poursuit jusqu'au 5 février à Rio (rua Primeiro de março, 66, Centro, ouvert tous les jours sauf le mardi de 9h à 21h).

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