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Apolo Torres : « Le graffiti est un agent culturel fort parce qu’il est accessible »

Alors que cette semaine était célébrée la journée internationale du graffiti, Bom Dia Brésil a rencontré Apolo Torres, un graffeur pauliste. Entretien.

Comment le street art est-il entré dans votre vie ?

Apolo Torres - Graffiti et pixação (forme de street art originaire des années 1960 où des lettres à la graphie particulière sont dessinée sur des murs particulièrement difficiles d'accès, ndr) ont toujours fait partie de ma vie. Depuis tout petit j’aimais dessiner, j’aimais aussi beaucoup la musique. L’art c’est toujours ce à quoi j’ai pensé dans ma vie. Je n’ai jamais considéré faire autre chose qu’un métier lié à l’art. Et il s’avère que ça a été possible.

Quand justement cette professionnalisation a-t-elle eu lieu ?

Apolo Torres (Amélie Perraud Boulard/Bom Dia Brésil)

J’ai commencé à me professionnaliser du fait des groupes de musique auxquels j’ai participé. J’ai commencé à faire le graphisme des sites, les couvertures des disques. Et puis des groupes d’amis m’ont demandé de réaliser ces mêmes services plus liés au design pour eux aussi. Et peu à peu, j’ai étudié ce domaine. J’ai une formation en design industriel, mais dès ma dernière année de fac, je savais que je voulais plus travailler plus dans le domaine de l’art que du design. Et je suis devenu assistant d’un artiste, Mario Sergio Lopomo. Il travaille beaucoup l’abstrait, ce qui n’est pas mon cas. Mais il a eu une influence technique très importante sur mon travail, qui lui a donné un aspect plus professionnel. Ça a été une très bonne école. En terme de matériel, de comment préparer les toiles, ça m’a énormément aidé. J’ai passé une année avec lui et j’ai réalisé que je pouvais vivre de l’art. En 2009, j’ai eu mon premier studio. 

São Paulo est une ville paraissant particulièrement adaptée pour faire des graffitis…

Je ne vois pas beaucoup d’autres villes, même à travers le monde, dans lesquelles le graffiti et le street art de manière générale soient aussi acceptés qu’ils le sont à São Paulo. Si on va dans des villes de l’intérieur, où il y a de très beaux murs disponibles, les gens sont souvent plus réticents, parce qu’ils ne sont pas habitués. Quand on fait des festivals dans des villes plus petites, c’est souvent plus difficile de trouver les premiers murs sur lesquels les personnes acceptent de nous laisser peindre. Et puis quand ils voient un ou deux murs de près, ils découvrent le résultat qu’ils trouvent super et finalement ils nous courent après : "Allez, viens faire le mien aussi" ! Mais il y a plus de résistance de prime abord qu’à São Paulo.

Pourquoi ?

Je pense que les gens sont déjà plus habitués. Mais il y a une autre raison je pense. Ici les personnes détestent la pixação - ce qui n’est pas mon cas. Alors ils regardent les fresques murales comme si c’était une espèce d’antidote à la pixação.

Le graffiti serait donc pour eux plus une forme d’art que la pixação ?

Oui c’est ça. Et souvent les personnes offrent leur mur pas tant parce qu’ils aiment le graffiti, mais parce qu’ils se disent qu’au moins comme ça, personne ne viendra faire de pixação. Mais de manière générale, les gens sont plus habituées à ce stimuli visuel, ça fait déjà partie de leur quotidien. 

Comment décririez-vous votre art ?

Je suis un peintre dans le sens bien classique du terme. La recherche visuelle de couleur, forme, composition, lumière, c’est ce qui me meut au quotidien. Mais en parallèle, il y a des questions conceptuelles que je tente d’incorporer à mon travail. Mais le discours, ce n’est pas ce qui vient en premier pour moi. Parfois l’image me suffit, même si elle n’a pas un concept, une idéologie derrière. Et je ne suis pas satisfait si j’ai un bon concept qui n’est pas abouti sur le plan visuel.

Quelles ont été vos influences ?

Des peintres classiques tels que Rembrandt, Vermeer, pour la question de la lumière. Mais ces derniers temps, j’ai plus flirté avec les modernistes qu’avec les classiques. Les impressionnistes, les post-impressionnistes. J’aime beaucoup. Mais aussi le graffiti, le mouvement du hip hop m’influencent beaucoup. Tant national qu’international d’ailleurs. Mais ça a commencé avec les graffitis que je voyais dans mon quartier par exemple. Tout petit, j’allais voir les gars peindre. Et puis j’ai appris à connaître ce mouvement qui est global. Parce que je n’ai pas l’impression que chaque pays ait une identité très particulière. Alors que l’esthétique de la pixação par exemple, c’est quelque chose qui est bien pauliste.

Quels sont les graffeurs brésiliens que vous aimez ?

J’apprécie beaucoup Os Gêmeos. Quand j’ai commencé, c’était une très grande référence pour moi, même si esthétiquement notre travail n’est pas le même. Mais au début, ils m’ont beaucoup influencé. Je pense aussi à Speto, Calma (Stephen Doitschinoff). Parce que c’est un gars qui a fait des fresques très intéressantes au début de sa carrière, mais qui a aussi tout un travail de recherche passionnant sur l’art contemporain. Il me semble très complet et jusqu’à maintenant, je l’admire beaucoup.

Lorsque João Doria a été élu maire de São Paulo, de nombreux murs de la ville ont perdu leurs graffitis, recouverts de peinture grise…

Ce qu’à fait Doria en fait, c’était juste revenir sur une mesure implantée par la gestion de Gilberto Kassab. En 2007, la loi Cidade Limpa a interdit les panneaux publicitaires et réglementé la taille des enseignes. A cette occasion, ils ont choisi d’effacer les graffitis et de repeindre en gris.

C’est pour ça que São Paulo a gagné le surnom de Cidade Cinza (ville grise) ?

Oui et ça a pris une telle ampleur qu’ils ont même supprimé un mur dos Gêmeos. Ça a marqué tout le monde, les gens ont commencé à se dire que ça n’allait pas dans le bon sens tout ça. Ces gars sont réputés dans le monde entier et vous effacez le mur qu’on a d’eux ici. Les agents qui effaçaient avaient un combi et de la peinture. Ils sont devenus comme des commissaires d’exposition de la rue : ils décidaient de ce qu’ils aimaient ou non et de ce qu’ils effaçaient. Mais après l’incident dos Gêmeos, ça s’est un peu tassé. Et quand Fernando Haddad est arrivé au pouvoir (en 2012, ndr), il a y eu des initiatives sympas comme par exemple sur la 23 de Maio, dans le Tunnel en haut de la Rebouças. J’ai peint sur ces deux événements organisés et rémunérés par la municipalité. Quand Doria a été élu, il a repris le principe de Kassab en changeant le nom de Cidade Limpa pour Cidade Linda (ville jolie). Et tout est reparti de zéro. Mais c’est plus une question de politique que d’idée d’aider la ville ou non. Comme la gestion antérieure a désavantagé, on va stimuler, puis la gestion suivante repart dans l’autre sens…

Ça a eu un impact sur votre manière de travailler dans la ville ?

Je n’ai jamais peint de manière illégale, parce que j’aime travailler dans le calme, sans être préoccupé par l’arrivée de la police ou non. Quand tu travailles sur des murs pour lesquels tu as des autorisations, ce sont des mesures qui t’affectent moins. Pour quelque grand mur que ce soit, il y a toute une bureaucratie : il faut une autorisation de l’organe de protection des paysages urbains, du condominio. Les artistes doivent présenter le projet pour montrer qu’il n’y a pas de publicité.

Ils vérifient s’il y a un contenu politique ?

A partir du moment où ce n’est pas un contenu politique très explicite, ça passe. Par exemple, celui que j’ai fait sur la praça Roosevelt a un contenu politique, puisqu’il évoque l’accès pour tous à l’éducation. Mais ce n’est pas un engagement partisan. Kobra a fait une série qui s’appelle Green Pincel où il évoquait le réchauffement global, les indiens, les rodéos et les maltraitances faites aux animaux… Ce sont des questions politiques, mais implicites.

Qu’est-ce que le graffiti peut apporter à une ville comme São Paulo, où il semble presque être un acteur de la ville ?

C’est un agent culturel très fort parce qu’il est accessible. Dans les musées, il y a beaucoup de choses intéressantes, mais les personnes qui fréquentent les musées ont déjà une prédisposition à ça. Qu’elle soit culturelle ou idéologique. Pour certains c’est un lieu hostile où ils n’osent pas entrer, se disant qu’ils ne vont rien comprendre. Même si l’accès est gratuit, certaines personnes se mettent des barrières. Alors le graffiti, l’art public, que tu le veuilles ou non, tu le vois. Et après l’avoir vu, la personne va tenter de rationaliser, comprendre, interpréter ce qu’elle vient de voir. C’est un jeu très sympa, qui ne nécessite aucune instruction, aucune connaissance préalable.

Vous allez peindre en France, en juillet à l’occasion du Festival Les Escales, mais vous avez déjà peint dans différents pays. Abordez-vous les projets de manière différente que pour un mur au Brésil ?

A l’étranger, l’idée prévaut, mais je tente d’amener ça d’une manière qui permettra aux locaux de s’identifier. Je ne vais pas aborder des thématiques spécifiques au Brésil. De la même manière que ce mur que j’ai fait sur la Roosevelt, même si la base c’est la question iranienne, je n’ai pas voulu faire quelque chose que sur le problème iranien pour que ce ne soit pas trop décontextualisé. Parce que ça ne ferait pas trop de sens de parler de la question iranienne dans le centre de São Paulo. J’ai tenté aborder cette question d’accès à l’éducation d’une manière qui parle aussi aux Brésiliens.

Quelles sont les thématiques que vous préférez aborder ?

Ces derniers temps, j’ai travaillé sur des sujets plus personnels, quasi autobiographiques. Et ça va toujours faire partie de mon travail  et j’aime aussi représenter la question de la représentativité, tenter de parler des réalités de personnes communes, du quotidien. Ceux qui ne sont pas très bien représentés…

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