Ancien cadre dirigeant d’une grande entreprise française au Brésil, Christian Pouillaude a vécu, travaillé, voyagé au Brésil depuis plus de 40 ans. Passionné de musique brésilienne (au point de collaborer avec Radio Latina) et de tout ce qui touche à son pays d’adoption, il vit aujourd’hui dans la ville de son épouse, Rio de Janeiro, et collabore avec Bom Dia Brésil à travers une chronique mensuelle intitulée Palabres. Palabres, car on ne peut pas comprendre le Brésil sans saisir toutes les nuances de certains mots du vocabulaire brésilien. Palabres, car ce sont des mots qui prêtent à la réflexion et à la discussion. Le 19e volet de cette chronique se penche sur la Lei Aurea, loi qui a sanctionné l'abolition de l'esclavage au Brésil...
L’expression est à prendre au sens figuré : la Lei Aurea, loi d’or, est une loi « remarquable, magnifique, de grande valeur ». Elle désigne la loi sanctionnant l’abolition de l’esclavage au Brésil, signée par la princesse Isabel le 13 mai 1888. Elle déclencha une liesse de plusieurs jours parmi la population afro-brésilienne. On le comprend aisément.
Mais avec le recul du temps, on peut vraiment s’interroger si cette loi est aussi « remarquable » que l’indique son nom. Elle est arrivée bien tard et fut bien incomplète. Le Brésil fut le dernier pays d’Amérique à abolir l’esclavage, après une longue et tenace résistance de l’oligarchie rurale esclavagiste.
Pression anglaise
La question se posa dès l’indépendance du pays en 1822. La pression vint immédiatement des alliés anglais demandant la fin du trafic négrier. Mais il n’en était pas question, en particulier pour les planteurs de sucre du Nordeste, menaçant de faire sécession. Cette pression eut même l’effet contraire : le trafic s’accéléra fortement au début du 19e siècle pour alimenter la demande de plus en plus forte de main d’œuvre de la part des planteurs de café de São Paulo.
Finalement, en 1831, le Brésil vota une loi interdisant ce trafic, mais ce fut un pur effet d’annonce, un trompe-l’œil, juste « pour faire voir aux anglais » (« para inglês ver »), comme on a dit à l’époque (l’expression entrera dans le langage commun). Le trafic continuera, un peu plus discret et clandestin, plus loin des grandes villes. Ce n’est finalement qu’en 1850 que le trafic négrier « d’importation » sera définitivement interdit. Le trafic interne restera, lui, encore intense. Mais l’élan est donné : le mouvement abolitionniste s’organise et se fait de plus en plus entendre, avec l’appui de la famille impériale.
Intérêts économiques
Peu à peu le Congrès lâchera prise : en 1871, est votée la loi dite « du ventre libre », affranchissant les enfants nés de mère esclave et en 1885, ce sont les esclaves de plus de 60 ans qui sont libérés. L’acte final arrivera trois ans plus tard. La mobilisation des abolitionnistes joua évidemment un rôle important, mais, au sein de l’oligarchie qui dominait le Congrès, le débat s’organisait plus en fonction des intérêts économiques des différents groupes que de considérations éthiques ou morales. Un certain nombre de planteurs de café commençait à voir cette abolition d’un bon œil car le système esclavagiste n’était plus rentable pour eux : ils préféraient la main d’œuvre européenne récemment importée (en particuliers les Italiens) autonome et plus productive. C’était l’occasion de « se débarrasser » à bon compte de leurs esclaves.
C’est l’autre point qui ne rend pas cette loi aussi « remarquable » que ça. Les esclaves furent libérés du jour au lendemain, sans aucune compensation, sans aucun octroi de terres, sans aucun accompagnement quel qu’il soit. Livrés à eux-mêmes, ils quittèrent les plantations pour venir s’entasser dans les banlieues des grandes villes. On en voit les conséquences jusqu’à aujourd’hui.