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Edgar, petit prince engagé du rap brésilien

Après une collaboration remarquée avec Elza Soares pour la chanson « Exu nas escolas » (2018) - qui s’élève contre l’intolérance religieuse -  et le lancement de son album Ultrassom, réalisé en partenariat avec Pupillo, ancien batteur de Nação Zumbi, Edgar a peu à peu conquis une place de choix sur la scène musicale brésilienne. 

Tenues de scène, bijoux, masques, vêtements et tennis personnalisés par ses soins à partir de déchets électroniques qu’il « garde et transforme » sont omniprésents. Quand on entre dans l’atelier/maison/studio d’Edgar, 26 ans, on comprend vite que ce n’est pas seulement un rappeur que l’on est venu rencontrer. Une étiquette qui semble parfois bien trop étroite pour définir tout le bouillonnement créatif du jeune homme.

Parce que si la musique représente évidemment une part importante de sa vie, elle n’est pas l’unique centre autour duquel celle-ci gravite. C’est l’art, de manière générale, qui le meut. La musique a lancé sa carrière, mais Edgar a l’ambition d’aller toujours explorer de nouveaux horizons. « Je suis pluriel », confie-t-il à Bom Dia Brésil. Court-métrage, clips, peintures, performances, défilés de mode… Edgar est un touche à tout qui se nourrit des rencontres les plus diverses. « Grâce à toutes les conversations que je peux avoir avec les personnes les plus variées qui soient que je rencontre, j’évolue et j’apprends », explique-t-il.

La tradition culturelle brésilienne : une source d’inspiration

Celui qui a grandi dans une favela de Guarulhos (São Paulo), avant de vivre dans la rue pendant plusieurs années, s’est trouvé dans les voyages qui l’ont mené au coeur du Brésil et de ses traditions. Le candomblé pratiqué par sa mère, mais aussi les fêtes populaires telles que la Folia de Reis dans le Minas Gerais, les masques de papangu et de La Ursa, traditions culturelles du Nordeste, ont été autant de sources de création pour ses personnages de scène. Edgar explique que « vivre et respirer ça » a été « une source d’enrichissement pour son travail ».

Des créations scéniques qui pourtant, si elles reprennent une part de tradition, servent également à mettre en scène des textes crachant un futur dystopique, incertain et préoccupant. Dans son dernier album, Ultrassom, qui fait référence aux échographies durant une grossesse, il délivre une image approfondie de la société brésilienne, abordant tout à la fois les thèmes de l’écologie (« Plástico »), de la manière dont les enfants sont transformés en robots par la société ( « O Amor está preso ? ») ou encore de la dépendance à la technologie (« Antes que as libélulas entrem em extinção »).

Des dystopies à l’univers visuel soigné

Le pouvoir d’Edgar s’il passe beaucoup par le visuel, toujours soigné, de ses clips et de ses apparitions scéniques, ce sont aussi des textes percutants, qu’il écrit lui-même. « J'ai toujours aimé écrire. Mais à 12 ans, on avait une épreuve écrite officielle à réaliser à l’école. Et j’ai obtenu la note maximale dans tous les critères évalués. C’est là que j’ai su que je pouvais vraiment faire quelque chose en écrivant. » Il lui faudra toutefois attendre l’invitation d’une amie à écrire pour elle des textes pour une pièce de théâtre pour qu’il se décide définitivement à se lancer. « Tout est parti du théâtre et sans prétention, j’ai commencé à lire mes textes sur des rythmes », tout à la fois inspirés du funk, du rap, de la musique du Nordeste et de touches électroniques. De là naît spontanément cette esthétique du spoken word, technique d’oralisation d’un texte provenant de la Beat Generation de Kerouac et Ginsberg, dont le slam est l’ultime évolution.

Si son univers n’est pas sans rappeler quelques grands titres de la SF comme Ravage de Barjavel, 1984 de George Orwell ou encore les films Blade Runner et Mad Max, Edgar affirme construire cet univers sans influence de ces oeuvres. « Ce sont des préoccupations que j’ai qui me viennent à l’esprit. Et je ne peux pas m’intéresser tant que ça à des textes écrits il y a des décennies par des auteurs ou des philosophes d’un autre siècle, quand mon principal objectif est de parler de ce qui se passe au présent. A savoir parler de ces personnes mortes parce qu’elles étaient transsexuelles, parce qu’elles étaient noires ou pour avoir lutté contre les milices, comme c’était le cas de Marielle Franco par exemple. »

Un artiste engagé

Car pour Edgar, noir et descendant d’indigènes comptant des transsexuelles parmi ses amis, l’activisme est une nécessité. « Par définition, actuellement, les transsexuels, les noirs, les communautés indigènes qui survivent sont des activistes », souligne l’artiste. « Et je veux jouer un rôle, je veux aider. »

L’élection de Jair Bolsonaro n’a fait que renforcer son engagement : « L’impeachment de l’ancienne présidente Dilma Rousseff avait déjà soulevé des inquiétudes. Mais voir Jair Bolsonaro devenir président du Brésil est devenu un motif encore plus grand pour ne pas se taire ». Il se préoccupe déjà de « toutes ces luttes à venir » lorsque celui-ci aura quitté le pouvoir. « Il va falloir repartir à la reconquête de choses qui étaient encore acquises il y a quelques mois » s’indigne-t-il.

Vers des chansons plus intimes

Edgar représenté dans un graffiti réalisé par Enivo, avec qui il collabore fréquemment (Enivo/DR)

« J’ai principalement peur de la désertification des possibilités pour les gens, beaucoup de Brésiliens sont actuellement déprimés. » Comme si le sombre futur qu’Edgar décrivait dans ses chansons était devenu un présent un peu plus tôt que prévu. « Les Brésiliens ont une nature joyeuse. Mais ils ont découvert que les fêtes et le Carnaval étaient un masque dissimulant un monstre à sept têtes, à savoir les ravages des pesticides, les délimitations des terres indigènes remises en question, la corruption de tous ces dirigeants quasi unanimement blancs, toutes ces évolutions négatives. Le coeur ne pouvait plus être à la fête. »

C’est malgré tout un futur encourageant qui se dessine pour Edgar. Le chanteur et compositeur a ainsi su s'imposer dans le coeur du public, qui n’est que louange. Beaucoup célèbrent ce « génie intempestif » qui fait appel à leur cerveau en « offrant un son différent », « une philosophie existentielle sous la forme de vers bien tournés ». Se distinguant du reste du monde du rap, Edgar ne saurait laisser indifférent.

Des échos rassurants pour lui qui est en train de préparer un nouvel album. « Je veux parler de sujets plus intimes. Il devrait sortir l’an prochain ». Il envisage aussi de se consacrer plus à l’art : il travaille notamment sur des toiles « où s’allient peinture et collage de tissus ». Avec aussi l’espoir de trouver des galeries avec qui collaborer ou une résidence artistique où progresser. Pourquoi pas en France, où il se rendra la semaine prochaine pour participer au Festival Les Escales. L’appel est lancé ! 

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