Photographe carioca par excellence, Cartiê Bressão dépeint la vie de la Cité Merveilleuse (et progressivement du reste du pays) avec humour, poésie et surtout beaucoup d’humanité. Très populaire sur les réseaux sociaux et dans le milieu de l’image au Brésil, Pedro Garcia, de son vrai nom, travaille simplement avec son téléphone et légende ses clichés en jouant habilement avec le Français et le Portugais, comme pour créer son propre langage. Bom Dia Brésil l’a rencontré.
Qui êtes-vous, Cartiê Bressão ?
Cartiê Bressão - Je suis un Carioca, qui est passé par Londres et Buenos Aires. En plus d’être Cartiê Bressão, je suis l’un des fondateurs de la plate-forme Queremos !, le crowdfunding pour les concerts, créé en 2010. Je travaille aussi dans le graphisme publicitaire, parfois dans la direction artistique pour des artistes. Tout est lié et connecté.
Comment a cheminé votre travail ?
Lors d’un carnaval, j’étais déguisé en Jorge Tadeu, un photographe d’une télénovela des années 90 (Pedra Sobre Pedra, ndr), les gens ont commencé à me demander de les prendre en photo. J’avais déjà des notions d’image avec le graphisme, de cadrage notamment. Mais le carnaval dégage tellement quelque chose de magique, c’est notre burning man à nous. C’est ce que nous sommes le carnaval, c’est notre essence. J’ai alors commencé à créer des connexions entre ce que je voyais et ce que je voulais montrer. Le nom de Cartiê Bressão m’est venu avec une photo en particulier, qui me semblait vintage et pleine d’humanité. A l’époque, mon compte Instagram était très classique, avec notamment des photos de famille… J’ai alors gardé ce qui me semblait lié à ce que je voulais faire. Je vivais en Argentine à ce moment-là de ma vie. En deux semaines de réflexion, j’ai commencé à rédiger en « Français », car cela coulait aussi de source.
Quel est votre rapport avec le Français justement, langue avec laquelle vous légendez chaque photo en la mélangeant avec le Portugais ?
Je le parle comme un enfant de cinq ans, mais c’est la langue parfaite pour décrire les humains, l’ironie, l’humour et la subtilité. J’utilise Google Traduction pour écrire en Français et ensuite je l’adapte à ma pensée. J’aime jouer et mêler ces deux langues à ma guise, sans règles. Je pense que notre société est fatiguée des règles.
Comment travaillez-vous et surtout avec quel matériel ?
J’aime être léger. Comme beaucoup de Cariocas, j’ai vécu à deux minutes de la plage toute ma vie. Donc je me déplace avec un maillot de bain, des lunettes de soleil et mon seul outil photographique : mon téléphone. Je ne sors jamais de chez moi avec l’idée de faire des photos. C’est comme l’insomnie à mes yeux. Si tu ne fais que penser au fait qu’il faille que tu dormes, tu n’y arriveras pas. Alors que si tu oublies tout ça, tu dormiras plus facilement. Quand je vois une scène ou une image qui me touche dans la rue, et que l’esprit me plait, alors je prends la photo. J’aime l’idée qu’il y ait des connexions entre toutes ces photos, d’autant qu’au Brésil la spiritualité et les connexions sont quelque chose de très important, et je ne parle pas de religion, ou alors celles de Bahia, comme le candomblé.
On pourrait y voir un lien avec le photographe français, Pierre Verger ?
Evidemment ! Si le nom de Cartier-Bresson est très accrocheur, celui de Verger est encore plus inspirant.
Votre travail montre, à mon avis, ce qu’est l’essence de Rio, avec le carnaval et les plages comme points d’orgue, mais d’un point de vue très humain. Est-ce aussi votre analyse ?
Tout à fait, et c’est de cette humanité que vient mon nom d’artiste. Henri Cartier-Bresson était pour moi le premier photographe à dégager des émotions des gens photographiés dans les rues de Paris. Mais la plage, à Rio, est un monde parallèle. Je me sens plus proche d’un Cartier-Bresson que de Martin Parr. Le premier a un œil plus respectueux sur les gens, plus bienveillant. Martin Parr est sans doute plus proche de la réalité. Il y a une symbiose entre les Cariocas et la plage, comme nulle part ailleurs. Cette ville est tellement énorme que même pendant les pics touristiques, l’esprit de la plage carioca reste intact. Le carnaval est aussi unique. Le défilé du Sambodrome permet à des milliers de gens qui défilent d’être comme sur une allée de stars, au cœur d’un show digne de Broadway. Tout le monde est un artiste pendant carnaval.
Vous vivez actuellement à São Paulo… N’est-ce pas un problème côté inspiration pour quelqu’un de Rio ?
Bonne question… Rio est une ville parfaite pour un flâneur, dans l’idée baudelairienne du mot. Rio de Janeiro est comme une rivière d’or pour l’inspiration, il suffit de se baisser pour le ramasser. Ici aussi il y a de l’or, mais il faut le chercher pour le trouver et c’est difficile. On ne flâne pas à São Paulo comme à Rio.
On peut parfois voir une pointe de politique dans vos photos, en particulier lors du carnaval. Cela ne peut-il pas poser un problème actuellement ?
Quand j’ai commencé, il y a sept ou huit ans, le Brésil était plus polarisé qu’aujourd’hui. L’une des raisons pour lesquelles mon travail touche tout le mode, c’est que je regarde les gens de toutes les classes, de tous les milieux de la même façon. Mon travail a peu à peu intéressé des personnes avec les mêmes valeurs, celles des droits humains, de l’ouverture d’esprit, de la tolérance. Des idées qui sont parfois mises à mal actuellement !