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Marielle Franco : la presse brésilienne pleure un symbole et s'interroge

La mort de la conseillère municipale Marielle Franco et de son chauffeur Anderson Pedro Gomes mercredi 14 mars à Rio a soulevé une immense vague d’indignation dans tout le Brésil. Jeudi 15 mars, 50.000 personnes se sont réunies dans le centre de Rio pour lui rendre hommage et dénoncer le crime. A São Paulo, ils étaient 30.000 personnes sur l’avenue Paulista. Les messages de consternation des Brésiliens ont aussi afflué sur les réseaux sociaux. Sur Twitter, cet assassinat était le sujet le plus discuté de la journée au Brésil et on dénombrait plus de 560.000 mentions de la mort de Marielle et de son chauffeur jeudi soir, dont 7 % qui l’attribuaient à sa « défense des bandits ».

Ce vendredi 16 mars, la presse revient largement sur une affaire qui fait trembler les fondations de la démocratie brésilienne. En commençant notamment par retracer le parcours de Marielle Franco, fille d’une famille du Nordeste, bisexuelle, originaire d’une favela et activiste, et figure du renouveau de la classe politique carioca pour certains. Elue en 2016 avec 46.000 votes (le 5e plus gros total pour un conseiller municipal de Rio), elle avait eu plus d’électeurs à Ipanema ou au Jardim Botanique que dans le quartier de la Maré où elle avait grandi.

Un véritable symbole

Dans O Globo, Bernardo Mello Franco rappelle que c’est à Maré, « dans le quartier avec le deuxième taux d’analphabétisme le plus fort de Rio, que Marielle a commencé à se battre pour ne pas devenir une statistique. Comme beaucoup de jeunes filles de son origine, elle est tombée enceinte à l’adolescence. Au contraire de nombre d’entre elles, elle n’a pas abandonné ses études. » Ce qui en fait pour beaucoup un symbole : pour Miriam Leitão, également dans O Globo, « Marielle avait franchi des barrières qui semblent souvent insurmontables à des millions de jeunes pauvres, noirs, de la périphérie des grandes villes brésiliennes. Elle avait réalisé ce dont beaucoup avait rêvé pour réduire le sentiment d’exclusion au Brésil : le chemin des études. Elle symbolisait le fait que le chemin est possible. » Pour Paulo Roberto Junior, du Huffington Post, ce n'est pas seulement une femme, mais tous ceux qu'elle représentait qui ont été tués : « En même temps que Marielle, sont mortes des milliers de personnes invisibles aux yeux de l'Etat et de la société, pour qui la conseillère municipale était l'un des rares moyens de s'exprimer, d'être représentés et de résister. »

L'Estado de S. Paulo rappelle que la jeune femme s'était lancée dans le militantisme en 2000, après « la mort d'une de ses amies proches, victime d'une balle perdue lors d'un échange entre policiers et trafiquants de la Maré. » Un événement qui avait probablement influencé les choix qu'elle avait opéré dans ses études, puisque la sociologue avait choisi de se pencher sur la question de la sécurité, rédigeant notamment en 2012 un mémoire intitulé « UPP : Réduire la favela à trois lettres ». Elle y « analysait de manière très critique la politique de sécurité publique de Sergio Cabral (gouverneur de l'Etat de Rio de Janeiro, ndlr) », qui, selon elle, favorisait « la répression et le contrôle des pauvres ».

Le focus sur l'intervention fédérale

La presse se penche aussi sur la piste de l’exécution, qui est privilégiée par les enquêteurs. Les tueurs auraient en effet suivi la voiture qui transportait Marielle Franco sur près de 4 km dans le centre de Rio. Le directeur de la rédaction d’O Globo, Ascânio Seleme, a un avis tranché sur la question : « Les signaux pointent vers les secteurs troubles de la police militaire de Rio, maquillée ou déguisée en milice. En ville, ce sont toujours eux qui sont derrière ce type d’acte de violence. Ça a été eux, c’est toujours eux. L’enquête va le montrer. » Pour le caricaturiste Aroeira, collaborateur d’O Dia, « Marielle n’est pas une victime statistique de la violence incontrôlée qui s’abat sur nous tous. Marielle, une femme noire, militante infatigable des droits humains et élue combative, a été assassinée par une violence avec un contrôle, une méthode, un entraînement et un objectif total. »

Marielle n’est pas une victime statistique de la violence incontrôlée qui s’abat sur nous tous. Marielle, une femme noire, militante infatigable des droits humains et élue combative, a été assassinée par une violence avec un contrôle, une méthode, un entraînement et un objectif total.

Les médias brésiliens posent aussi la question de l’impact que cette tragédie va avoir pour l’intervention fédérale dans la sécurité publique de l’État de Rio de Janeiro, instaurée depuis tout juste un mois. Dans El Pais Brasil, Felipe Betim souligne que « la force de la rue s’est transformée en un défi inattendu pour le gouvernement de Michel Temer et son pari d’une inédite intervention fédérale comme étendard électoral et réponse au chaos de la sécurité publique à Rio. »

Pour O Globo, « une réponse rapide à ce crime brutal devient un défi pour l’intervention fédérale : l’assassinat fait l’objet d’une enquête des polices de Rio, de la police fédérale, de l’Agence brésilienne d’intelligence, et des forces armées. Découvrir la vérité sur la mort de Marielle est devenu une affaire d’honneur, l’affaire de tous. » « L’enquête est en voie d’être officiellement fédéralisée à la demande du ministère public », indique Afonso Benites dans El Pais Brasil. Enfin, Ariel de Castro Alves, membre du Mouvement national des droits humains interrogé par O Globo, estime que « maintenant, la priorité c’est que l’intervention fédérale fasse le ménage dans la police et en finisse avec les milices et la corruption. La population de Rio est l’otage des milices, des policiers violents et des trafiquants de drogue. » Enfin, Eliane Cantanhêde, de l'Estado de S. Paulo, affirme que les pouvoirs « exécutif, judiciaire et législatif doivent s'unir pour affronter le crime organisé qui a dépassé toutes les limites en confrontant l'Etat et le les autorités à ce crime barbare. »

Pression internationale

L’assassinat de Marielle Franco a « également mis la pression internationale sur le Brésil » souligne l’Estado de S. Paulo. Le quotidien rappelle que l’Organisation des nations unies (ONU) avait mis en avant le Brésil comme étant le pays où les activistes défendant les droits de l’homme étaient le plus tués. Il révèle également que d’après les recherches effectuées par leurs équipes, « les autorités brésiliennes ont ignoré les communiqués confidentiels de l'ONU concernant les menaces pesant sur au moins 17 activistes. » La Folha précise que désormais, l'ONU réclame une enquête « indépendante et rigoureuse » et des résultats rapides, tout comme Amnesty International ou encore Human Rights Watch. La même source évoque enfin la demande de suspension des négociations d'un accord économique entre l'Union européenne et le Mercosur suite à l'événement, émanant des députés espagnols du parti Podemos.


Journaliste et photographe free-lance, Guy Pichard était jeudi 15 mars dans le centre de Rio. Il a posé son regard de photographe pour Bom Dia Brésil sur les manifestations d'hommage à Marielle Branco (cliquez sur la photo en haut de l'article pour lancer le diaporama).

www.guypichard-bzh.fr

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