Un jour, un Brésilien a gagné une étape du Tour de France. C’était il y a 27 ans, le 14 juillet 1991 : à Rennes, Mauro Ribeiro franchissait le premier la ligne d’arrivée de la 9e étape, devant un certain Laurent Jalabert. Aujourd’hui à la tête d’une PME spécialisée dans l’équipement du cycliste, l’ancien coureur originaire de Curitiba (Paraná) se souvient pour Bom Dia Brésil de son jour de gloire sur la route du Tour. Interview.
Cette victoire d’étape sur le Tour de France, c’est resté la plus belle de votre carrière ?
Oui, c’est la plus importante. Avec cette victoire, j’avais atteint mes objectifs à 100 %. Je venais d’un Brésil qui sortait de la dictature, qui n’avait pas beaucoup d’échanges avec le monde. Par rapport à aujourd’hui, l’Europe était très loin pour nous. Et puis cette victoire est importante par rapport au retentissement qu’elle a eue, par rapport à ce qu’était le cyclisme européen à l’époque. A la fin des années 1980 et au début des années 1990, il y avait une génération qui représentait le début de la globalisation du vélo, avec moi, l’Australien Phil Anderson, l’Irlandais Stephen Roche, les coureurs colombiens. A l’époque, j’étais le seul coureur brésilien à participer au Tour. Cette victoire, ça m’a donné davantage de notoriété, une reconnaissance, même s’il y a beaucoup de coureurs qui ont gagné plus d’étapes que moi dans leur carrière. Mais des gens comme l’Espagnol Pedro Delgado ou l’Américain Lance Armstrong ont parlé encore récemment du jour où un Brésilien avait gagné une étape. Ma victoire est inscrite dans le livre du Tour de France.
On en a souvent rigolé avec mes amis, qui me disaient « tu as mis du temps, tu n’a gagné qu’une étape, mais tu gagné la bonne. »
Vous avez gagné à Rennes, un 14 juillet, c’était spécial ?
C’était ma première participation au Tour, et je ne réalisais pas vraiment l’importance de cette date pour les coureurs et le public français. Mais gagner un 14 juillet, ça a donné encore plus de répercussion à ma victoire. Je suis resté ami avec Laurent Jalabert, qui fait 2e derrière moi ce jour-là. J’ai fait la une de nombreux journaux, 158 quotidiens avaient parlé de ma victoire à l’époque. On en a souvent rigolé avec mes amis, qui me disaient « tu as mis du temps, tu n’a gagné qu’une étape, mais tu gagné la bonne ». En plus je gagne à Rennes, en Bretagne, terre de tradition cycliste.
Vous portiez les couleurs de RMO, une équipe française. Comment vous a-t-elle recruté ?
J’étais parti m’installer à Paris quand j’avais à peine 20 ans, pour rejoindre un club amateur à Boulogne-Billancourt. J’ai fait des essais avec une équipe espagnole, Reynolds. Ça a bien marché avec eux, mais ils m’ont demandé de patienter un an. Et c’est à ce moment qu’une nouvelle équipe s’est montée en France, RMO. Ils cherchaient un coureur brésilien et m’ont proposé de les rejoindre. J’ai dit oui tout de suite, et j’y ai fait la plus grande partie de ma carrière professionnelle.
La mentalité, c’était souvent qu’un étranger dans une équipe prenait la place d’un Français. Du coup, il fallait que j’en fasse deux fois plus pour mériter ma place.
A l'époque, l’accueil d’un Brésilien n’était pas complètement naturel pour le milieu cycliste...
Dans le peloton, il y avait encore une résistance parce qu'il était encore essentiellement européen, même si les choses commençaient à changer. A mon époque, les Français composaient encore au moins la moitié du peloton du Tour. La mentalité, c’était souvent qu’un étranger dans une équipe prenait la place d’un Français. Du coup, il fallait que j’en fasse deux fois plus pour mériter ma place. Je ne le prenais pas mal, ça me semblait naturel. J’ai mis un peu de temps, mais au bout d’un moment j’avais gagné la confiance de mes équipiers et le respect et de mes adversaires. A un moment on disait que j’étais le plus français des Brésiliens. Et aujourd’hui, j’ai encore plein d’amis français, et je vais très régulièrement en France, pour le travail ou pour les loisirs.
Pourquoi n’avoir couru qu’un seul Tour ?
Je faisais partie de l’équipe RMO, qui était très compétitive, avec des noms comme Charly Mottet, Eric Caritoux, Pascal Lino, Marc Madiot, Jean-Claude Colotti, Thierry Claveyrolat, ou Richard Virenque qui arrivait tout jeune et tout foufou. C’était une sacrée équipe, on gagnait 70 courses par an, on était une référence comme structure. Et moi, j’étais plus un spécialiste des courses d’un jour que des courses à étapes. J’ai fait dix Milan-San Remo, huit Paris-Roubaix, sept Liège-Bastogne-Liège. Je faisais tout le début de saison. En 1991, l’année où j’aide Marc Madiot à gagner Paris-Roubaix, il y avait trois coureurs qui avaient fini toutes les classiques de Coupe du monde dans les points. J’en faisais partie. Au moment du Tour en général, je faisais une pause, et après je faisais toute la fin de saison jusqu’au Tour de Lombardie.
Au Brésil, le vélo s’est beaucoup développé comme loisir. Il y a des centaines de clubs orientés cyclotourisme, mais le cyclisme de compétition a beaucoup de retard.
Mais en 1991, vous avez demandé à participer à la Grande Boucle…
Oui, j’ai été pris comme remplaçant dans l’équipe pour le Tour. Et puis un coéquipier, Philippe Bouvatier, a fait une grosse chute en descente sur le Grand Prix du Midi-Libre. Après le Championnat de France, l’équipe m’a appelé pour me confirmer que j’étais pris sur le Tour. C’était le début d’une belle aventure. Ma carrière a continué encore trois ans après cette année 1991, mais physiquement, j’ai commencé à avoir de gros problèmes d’allergie et de sinusites pendant l’été.
Il n’y pas de coureur de votre pays sur le Tour de France cet été. Où en est le cyclisme brésilien ?
Par rapport à mon époque, l’amélioration de la qualité de vie au Brésil a fait que le vélo s’est beaucoup développé comme loisir. Il y a des centaines de clubs orientés cyclotourisme, mais le cyclisme de compétition a beaucoup de retard. On doit avoir 200 coureurs, dont 50 avec un bon niveau, pour un pays de la taille du Brésil ! Le dernier coureur brésilien qui a fait une belle carrière professionnelle, c’est Murilo Fischer, qui a arrêté en 2016. Notre fédération est déconnectée de la réalité. On a eu une opportunité unique avec les Jeux olympiques à Rio, mais on a vu que l’impact pour le Brésil est assez négatif. J’ai plus d’espoir pour le cyclisme féminin brésilien, où il y a un projet d’équipe qui tient la route. Chez les hommes, il y avait une équipe professionnelle brésilienne intéressante, mais elle a connu une série de coureurs contrôlés positifs (dont Kleber Da Silva Ramos lors des JO, ndlr). Résultat, c’est très difficile aujourd’hui pour un cycliste brésilien d’être reconnu. Un directeur sportif européen va réfléchir 30.000 fois avant d’en engager un.