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Une manifestation contre Jair Bolsonaro le 20 octobre 2018 à Rio (Tânia Rêgo/Agência Brasil)

Femmes, noirs, LGBT, peuples autochtones : l’appréhension d’un Brésil sous la botte de Bolsonaro

« Cela ne peut pas continuer. Tout est victimisation. Pauvre noir, pauvre femme, pauvre gay, pauvre Nordestin (…) Nous allons en finir avec ça. » Les têtes de turc préférées de Jair Bolsonaro en ont une nouvelle fois pris pour leur grade cette semaine, à quelques jours du second tour de la présidentielle brésilienne qui se déroulera dimanche.

Malgré cela, le candidat d’extrême droite caracole toujours en tête dans les sondages, soutenu désormais par une large frange de la population brésilienne dont une partie des communautés qu’il dénigre. « La plupart des voix en sa faveur sont des votes anti-PT (Parti des travailleurs), peu préoccupés par les droits de l’homme, qui privilégient son caractère antisystème et anticorruption », explique à Bom Dia Brésil Eliseu Neto, coordinateur national chargé de la diversité au Parti populaire socialiste. « J’entends des personnes LGBT dire : "Il n’est pas si homophobe que cela, il n’a jamais agressé personne" », illustre-t-il.

« Les gens ne prennent pas la mesure de ses paroles »

Même constat pour Maria Luisa Jimenez, militante féministe, professeure et chercheure en études de culture contemporaine à l’Université fédérale du Mato Grosso : « Beaucoup de Brésiliennes pensent que le féminisme est quelque chose de mauvais parce qu’elles ne savent pas ce que c’est, elles croient que les féministes veulent être supérieures aux hommes ». Pour sa part, Taina de Paula, militante noire du mouvement féministe brésilien PartidA, pointe du doigt la campagne très efficace de Jair Bolsonaro sur les réseaux sociaux : « Les gens ne prennent pas la mesure de ses paroles parce qu’il a créé un important réseau de contre-information leur faisant croire qu’il s’agissait de détournement, de montage, diminuant leur importance et leur portée. »

Si les différentes déclarations racistes, homophobes ou encore misogynes du candidat d’extrême droite n’ont eu jusque-là aucune véritable incidence, reléguées à celle d’un député sans envergure connu seulement pour ses provocations verbales, qu’en sera-t-il si Jair Bolsonaro s’empare du Planalto et alors qu’une vague d’agressions attribuées à ses partisans a été relevée dans la foulée du premier tour ?

« Tout le monde a peur et moi aussi »

Pour Eliseu Neto, « les récentes agressions sont dues au climat des élections, les gens sont à fleur de peau et il est plus facile d’identifier son ennemi, marqué comme un supporter de football adverse », mais si Jair Bolsonaro est élu, « il y a un risque qu’elles augmentent parce qu’elles seront légitimées par son discours contre la victimisation », estime-t-il, donnant pour exemple la manière dont le candidat du Parti social libéral (PSL) a répondu aux agressions de ses partisans : « Sa réponse a été : "Je n’ai rien à voir avec ça, que chacun se contrôle" ». Ainsi, « la panique existe déjà dans la communauté LGBT, surtout parmi les plus jeunes qui sont absolument désespérés et retrouvent cette peur de sortir, de s’afficher », affirme-t-il.

« Tout le monde a peur et moi aussi », confie Maria Luisa Jimenez, qui raconte que lors d’un récent cours de sociologie donné à des jeunes, l’un de ses élèves de 14 ans, issu d’une famille évangélique, lui a lancé, sur le ton de la menace : « Si Jair Bolsonaro est élu, le féminisme, c’est terminé. » Pour elle, par ses paroles, le candidat d’extrême droite donne « son aval à la violence », aussi bien physique que verbale.

« Jair Bolsonaro va fermer toutes les portes que nous avions ouvertes »

A l’échelle gouvernementale, ce n’est pas forcément une politique répressive qui est attendue à l’encontre des minorités, mais plutôt régressive, d’autant plus que la composition du Parlement est « plus conservateur que libérale », selon Eliseu Neto. « Toutes les politiques publiques en faveur des minorités vont être suspendues, Jair Bolsonaro va fermer toutes les portes que nous avions ouvertes », craint Taina de Paula, qui s’attend à « quatre ans d’ostracisme » et de laxisme dans la protection des minorités.

Pour Eliseu Neto, qui rappelle que les minorités LGBT notamment peuvent encore être protégées par des lois locales, les populations les plus en danger sont les autochtones du Brésil. « Si toutes les menaces que Jair Bolsonaro a proférées à l’encontre de l’environnement et des autochtones (suppression du ministère de l’Environnement, retrait de l’Accord de Paris, critiques de la fiscalisation de la déforestation, fin de la démarcation des terres indigènes…, ndr) sont appliquées, les conséquences seront très mauvaises », confirme Marcio Astrini, coordinateur des politiques publiques de Greenpeace Brésil.

Une mobilisation de la société attendue

S’il ne pourra pas en terminer avec les réserves indigènes car il faudrait modifier la Constitution, Jair Bolsonaro dispose sur ce thème d’une assez grande marge de manœuvre pour pouvoir faire de gros dégâts. « Il peut couper les budgets servant à la fiscalisation de la déforestation ou ne pas aider à combattre les violences envers les peuples autochtones, et je pense que le Congrès va le soutenir dans ces mesures absurdes qui sont déjà dans les tuyaux, mais qui avaient été bloquées par les précédents gouvernements », prévient Marcio Astrini.

Néanmoins, ce dernier estime que tout n’est pas perdu. « Certes, on n’a pas beaucoup parlé de l’environnement durant la campagne parce que le Brésil a d’autres gros problèmes, mais cela reste un sujet important pour la société brésilienne qui s’est déjà mobilisée par le passé pour le défendre », estime-t-il.

L’espoir en la justice

« Il y aura de la résistance comme il y en a toujours eu, nous allons devoir nous lever pour survivre », renchérit Maria Luisa Jimenez. Taina de Paula abonde : « Les Brésiliennes se mobilisent de plus en plus à travers des mouvements de lutte et je ne pense pas qu’il y aura de retour en arrière sur ce plan-là. Ma plus grande inquiétude sera leur répression car les militantes ont déjà peur, mais je crois en la force de ces mobilisations. »

Pour Eliseu Neto, qui note tout de même que le mouvement « Ele Não » n’a pas fonctionné aussi bien qu’espéré – malgré les importantes manifestations, le vote féminin pro-Bolsonaro a bondi dans la foulée -, l’opposition à un futur gouvernement PSL ne pourra être efficace que si elle est très bien organisée et, sur le plan politique, interpartis. Autre soutien potentiel de poids, selon lui : la justice. « Jair Bolsonaro ne connaît pas bien les relations entre les pouvoirs ni les lois, tout son programme est illégal ou inconstitutionnel, le judiciaire sera le seul à pouvoir le contrer », juge-t-il. Quoi qu’il en soit, et même si Fernando Haddad (Parti des travailleurs) venait à l’emporter, « une vague conservatrice va s’abattre sur le Brésil et cela fait très peur ».

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