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Mercredi 15 mai à Rio (P. Roubaud/Bom Dia Brésil)

À Rio, la rue gronde de nouveau pour défendre les universités publiques

Mercredi 15 mai, en milieu d’après-midi, à Rio de Janeiro, tous les pas convergeaient vers le parvis de l’église Candelária, au centre de la ville. Malgré une pluie parfois battante, étudiants, professeurs, fonctionnaires de l’éducation, syndicats, ou simples citoyens inquiets et révoltés étaient rassemblés entre Candelária et l’avenue du Président Vargas. Ils étaient 150 000 manifestants, selon le syndicat des professionnels de l’éducation (Sepe) à protester contre la coupe budgétaire imposée par le gouvernement de Jair Bolsonaro à l'encontre des universités fédérales publiques.

Dans un brouhaha tantôt révolté, tantôt joyeux, les manifestants scandaient « Prévenez Bolsonaro, la résistance commence ! » ou encore « Nous n’accepterons jamais ça ». Les traits tirés des visages et les conversations exprimaient les inquiétudes des Brésiliens concernant le futur. En effet, fin avril, le ministère de l’Education annonçait une coupe draconienne dans le budget des universités fédérales, de l'ordre de 30 % dans leurs dépenses discrétionnaires, et la suspension des bourses finançant les masters. Face à l'immédiate levée de boucliers, le gouvernement a avancé qu'il s'agissait d'un « gel » et non d'une coupe, qui serait annulée si la réforme des retraites est votée.

Entre inquiétude et résistance

« Il va devenir impossible (pour les universités) de payer les factures d’électricité, de gaz, de transports et même jusqu’à celles de la cantine universitaire », raconte, inquiète, Eneida da Oliveira, bibliothécaire à l’Université Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ). « Je suis préoccupée pour mon boulot, mais encore plus pour les études de mon fils, qui étudie à l’Université Fédérale Fluminense (UFF). Il ne sait même pas s’il va pouvoir terminer le second semestre. »

Le maître-mot de cette manifestation pacifique était « résistance ». Les étudiants, présents en très grand nombre, distribuaient pin’s et autocollants dans la foule. « Nous sommes tous indignés par ce gouvernement qui fait n’importe quoi. Alors on se révolte ! » raconte Dhauany, 20 ans, étudiante en sciences sociales, arborant une tee-shirt blanc avec écrit en grosses lettres noires « lutte ». « Si la manifestation d’aujourd’hui ne modifie pas la coupe budgétaire prévue dans l’éducation, au moins elle aura le mérite d’être le début d’une grande bataille », exprime avec conviction la jeune étudiante carioca.

Dans cette marée humaine venue apporter son soutien à l’éducation publique, les revendications étaient nombreuses. Étaient présents des manifestants contre la réforme de la retraite, le groupe des femmes unies contre Jair Bolsonaro, le mouvement des travailleurs sans-terre et sans-toit, de nombreux syndicats de travailleurs, etc. «Tout le monde lutte pour quelque chose d’important », raconte Eneida, émue, « la pression s’accentue sur le gouvernement, qui va devoir répondre de ses actes ».

Première contestation de masse pour Jair Bolsonaro

En effet, Jair Bolsonaro doit aujourd’hui affronter sa première contestation de masse depuis qu’il est à la tête du Brésil. D’après la presse brésilienne, cette manifestation d’ampleur nationale a réuni près de 1,5 million de Brésiliens dans 241 villes du pays. Et la principale organisation syndicale étudiante, l’UNE, appelle déjà à bloquer tous les campus pour les 30 prochains jours. En déplacement aux États-Unis mercredi soir, le président brésilien a essayé de minimiser cette mobilisation, n’hésitant pas à qualifier les manifestants « d’idiots utiles à la solde d'une petite élite intellectuelle qui veut garder son emprise sur les universités fédérales ».

Ludmila Moreira Lima, professeure en sciences sociales et anthropologue à l’Université Fédérale de l’Etat de Rio de Janeiro (UNIRIO), portant fièrement son tee-shirt « luter comme une professeure », est inquiète, mais garde espoir. « C’était inenvisageable de ne pas être là aujourd’hui ! » s’exclame-t-elle, « après l’élection de Jair Bolsonaro, il y a eu un moment de torpeur et d’engourdissement de la part du camp progressiste au Brésil. Aujourd’hui, il est très important de montrer qu’une grande partie de la population n’est pas d’accord avec lui. » Mercredi 15 mai, sur la praça XV, à Rio de Janeiro, les universités fédérales avaient organisé des cours en public tout l’après-midi. « C’est comme ça que nous lutterons contre le fascisme », affirme Ludmila. En fin de manifestation, professeurs et étudiants distribuaient des livres dans la foule.

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