« L’entrée dans la baie de Rio, c’était magique ». Quand il en parle, le navigateur Antoine Cousot se remémore encore cette scène avec enthousiasme : « La première côte brésilienne que j’ai vue était Cabo Frio puis Rio, mais la brume est tombée et le Pain de Sucre apparaissait et disparaissait. »
Parti des Sables-d’Olonne (Vendée) le 1er juillet dernier, ce Français de 47 ans n’aurait pourtant jamais dû voir la Cidade Maravilhosa ce 1er septembre. Il était l’un des 19 participants de la Golden Globe Race, une course à la voile autour du monde en solitaire et sans escale, avec une autre particularité de taille : rendant hommage à sa première et unique édition de 1968, les navigateurs doivent concourir dans les conditions d’il y a 50 ans. Soit un bateau de 32 à 36 pieds (entre 9,75 et 10,97 m), conçu avant 1988, sans aucune aide technologique – ordinateur, GPS, pilote automatique ou encore dessalinisateur sont bannis.
« Un bateau, un sextant et un homme »
« Un bateau, un sextant et un homme », résume Antoine Cousot. « Aujourd’hui, les bateaux sont des machines, cette course va à contre-courant, centrée sur les valeurs humaines, l’éloge de la lenteur, c’est accepter de ne pas savoir où on est, d’être déconnecté du temps linéaire », philosophe-t-il.
Une expérience aussi unique qu’extraordinaire qui a donc conduit cet amoureux de la mer à tout quitter en 2015 pour pouvoir y participer : « Je voulais la faire pour oser aller au bout de mes rêves ». Ancien skipper professionnel puis cadre en Norvège pour la filiale d’exploration pétrolière de l’armateur danois Maersk pendant huit ans, il fait ses valises et rentre en France avec femme et enfants s’installer sur l’île de Noirmoutier.
Goldstar devient Métier Intérim
« J’ai acheté mon bateau en 2016 à Falmouth, au fin fond de la Cornouaille, là où Sir Robin Knox-Johnston (le vainqueur et unique participant ayant conclu l’édition de 1968, ndr) était amarré », indique Antoine Cousot à Bom Dia Brésil. Goldstar est un Biscay 36 datant de 1975 et produit à seulement 29 exemplaires. Après huit mois de restauration en Angleterre, le bateau arrive à Noirmoutier à l’été 2017 et le Vendéen entreprend alors de fédérer les artisans locaux pour les retouches finales.
Après l’essentielle recherche de sponsors et l’engagement à mener des projets scientifiques à bord (collecte de données sur le changement climatique et la pollution des océans, cyber-psychologie, gestion du stress…), Antoine Cousot et Goldstar, rebaptisé Métier Intérim pour la course, du nom de son principal sponsor, sont prêts à prendre la mer le 1er juillet aux Sables-d’Olonne devant 30.000 personnes.
Le premier drame
« J’ai vécu un départ extra et jusqu’au Portugal, comme ce sont de vieux bateaux assez lents, nous étions encore les uns à côtés des autres », raconte le navigateur. Mais, au large de Lisbonne, c’est le drame, le premier de cette traversée. « Sur le bateau, on fait tout à la main et en affalant le spi, le vent est monté et j’ai perdu l’équilibre. Je suis tombé et je me suis déboîté l’épaule », se souvient-il. Sans aucune assistance extérieure possible, « je me suis mis à genou et je l’ai remise en place ».
Antoine Cousot trace sa route tant bien que mal jusqu’aux Canaries où il fait une pause de deux jours : « Entre ma douleur à l’épaule, le stress et un problème de régulateur de vitesse, j’avais besoin de m’arrêter ». Le Vendéen repart et refait son retard sur les autres concurrents jusqu’au pot-au-noir et son alternance de « pas de vent, beaucoup de vent, des pluies diluviennes ».
« A cloche-pied sur un bateau, c’est plus dur »
Mais alors qu’il se trouve au large de Salvador (Bahia) au début du mois d’août, son spi redevient son ennemi le temps d’une manœuvre et le navigateur se fait cette fois une entorse de la cheville. « A cloche-pied sur un bateau, c’est plus dur », ironise-t-il. Alors que la douleur empire, le médecin de course lui conseille d’abandonner avant d’atteindre les mers du Sud, plus exigeantes et avec trois semaines de mer avant d’atteindre Le Cap (Afrique du Sud).
« Au départ, je n’avais pas envie de lâcher, mais je pense que c’était une bonne décision, la sécurité avant tout », reconnaît Antoine Cousot, qui a alors pris la direction de Rio, où il a des connaissances, brisant au passage les scellés de la boîte renfermant un téléphone satellite et surtout un GPS pour pouvoir se diriger le long des côtes brésiliennes inconnues pour lui et longées, au large, de plates-formes pétrolières. « Il faut faire attention, c’est une vraie zone industrielle, avec beaucoup de lumière, de trafic, il y a des bateaux dans tous les sens, je n’ai pas pu dormir les 48 dernières heures », précise-t-il.
« C’est trop bête »
Finalement arrivé dans la baie de Guanabara, au Yacht club d’Urca, le navigateur a fini par réaliser que sa course était bel et bien terminée. « C’est trop bête et frustrant psychologiquement parce que le bateau était bien, mais si j’avais eu le même souci dans le Pacifique Sud, ça n’aurait pas été la même », lâche-t-il.
De ce périple, le Français retient néanmoins « plus de positif que de négatif », avec la fierté d’avoir pu participer à cette véritable aventure que représente de nos jours une navigation uniquement mécanique et non plus technologique. « On ne connaît ni notre vitesse ni notre position exacte, près du Cap-Vert, ne pouvant me repérer avec le soleil à cause d’un ciel nuageux, je me suis trompé de 50 milles, le courant m’avait emmené trop à l’est et j’ai perdu trois ou quatre jours. Ce n’est pas la grosse panique non plus, mais c’est du chemin à rattraper », illustre-t-il.
« La page est tournée, je ne me vois pas repartir »
L’autre élément omniprésent qu’il retiendra, c’est la solitude : « Je l’appréhendais, même si j’avais travaillé avec des psychologues avant la course, j’avais peur que mon mental me joue des tours, qu’il me fasse faire des choses irrationnelles. On ne sait pas comment son corps et son esprit vont réagir alors qu’on dort peu, qu’on perd la notion du temps, qu’il faut se motiver chaque jour. J’avais pris avec moi 80 cassettes dont des livres audio pour entendre une voix. Et à chaque appel radio, on ne veut plus raccrocher, on a besoin de parler. »
En dépit de l’énorme frustration qui restera aussi, le Vendéen, qui s’est soigné ces derniers jours à Rio, n’entend pas pour autant retenter sa chance lors d’une éventuelle prochaine édition dans quatre ans. « La page est tournée, je ne me vois pas repartir, je vais rentrer en France la semaine prochaine et retrouver un travail », programme-t-il. Goldstar, lui, reprendra la mer grâce à un équipage mandaté par Antoine Cousot pour les îles Canaries dans un premier temps, avant d’être vendu. Le Vendéen parie déjà qu’il sera racheté par un participant de la prochaine Golden Globe Race. Bon vent et bonne mer !