Chantre de la lutte contre la corruption qui a contribué à la mettre au pouvoir, la famille Bolsonaro est au centre, via le fils aîné Flávio, d’une affaire judiciaire depuis le mois dernier, qui ne cesse de s’amplifier. Au fur et à mesure de son exploration des comptes de Flávio Bolsonaro et de son ancien assistant, Fabricio Queiroz, le Conseil de contrôle des activités financières (Coaf) découvre des transferts suspects et des sommes très importantes. Bom Dia Brésil fait le point sur l’enquête et ses conséquences.
Quel est le contexte de l’affaire ?
Début novembre, le Ministère public fédéral a lancé une nouvelle opération, au sein de Lava Jato à Rio, afin de démanteler un système de pots-de-vin mis en place à l’Assemblée de l’Etat de Rio de Janeiro (Alerj) en faveur des intérêts de l’ancien gouverneur Sérgio Cabral. Le Coaf a mis en lumière des mouvements financiers suspects de la part de 74 assistants et ex-assistants parlementaires, dont celui de Flávio Bolsonaro, pour un total de plusieurs centaines de millions de reais. La plupart des fonctionnaires sont suspectés d’avoir participé à un système dans lequel ils reversaient une partie de leur salaire à leur député. Cette opération a déjà conduit à l’interpellation d’une dizaine d’élus locaux.
Qui sont les protagonistes de l’affaire ?
Le premier visé par cette affaire, c’est Fabricio José Carlos de Queiroz, 53 ans. Ancien policier militaire, c’est à l’origine un ami personnel de Jair Bolsonaro. Les deux hommes se sont connus à l’armée en 1984, selon le site O Antagonista. Des années plus tard, il devient l’un des assistants parlementaires de Flávio Bolsonaro lorsque ce dernier est député de l'Alerj (2002 à 2019). Son rôle : chauffeur et chargé de la sécurité du fils de Jair Bolsonaro. Ce dernier ayant été élu sénateur, il a mis fin aux fonctions de Fabricio Queiroz en octobre dernier.
Qu’est-il reproché à Fabricio Queiroz ?
Pour le moment, rien d’illégal. Mais, au début du mois de décembre, l’Estado de S.Paulo révèle que le Coaf, organe judiciaire chargé de la lutte contre le blanchiment d’argent, a repéré des mouvements financiers suspects sur un compte au nom de Fabricio Queiroz. Entre janvier 2016 et janvier 2017, plus de 1,2 million de reais ont transité sur le compte, ce qui est incompatible avec les salaires qu’il percevait (environ 20.000 reais mensuels au total). Ce n’est que dimanche qu’O Globo rapportait que ce sont 5,8 millions de reais supplémentaires qui auraient transité sur le compte de l’ancien chauffeur les années précédentes (2014 et 2015). Le processus est le même pour tous les autres assistants parlementaires incriminés, sur les comptes desquels d’importantes sommes ont transité de manière suspecte. Le Coaf veut donc en savoir plus sur ces transferts.
D’où viennent ces fonds ?
Sur l’année prise en considération (2016), on retrouve notamment plus de 116.000 reais versés par d’autres assistants parlementaires de Flávio Bolsonaro. Parmi ceux-ci, la propre femme de Fabricio Queiroz, Marcia, ainsi que ses filles, Nathalia, assistante de Flávio de 2007 à 2016, puis de Jair, alors député fédéral à Brasilia, puis Evelyn, qui a remplacé Nathalia auprès de Flávio. Parmi les fonds retirés du compte, la plupart du temps lors d’une succession inhabituelle de retraits, on retrouve notamment un chèque de 24.000 reais au nom de Michelle Bolsonaro, désormais Première dame du Brésil. Son mari a indiqué qu’il s’agissait du remboursement d’une dette atteignant elle-même 40.000 reais. A l’époque, Fabricio Queiroz aurait été en difficulté financière et Jair Bolsonaro lui aurait prêté de l’argent. Etant trop occupé pour aller à la banque, le futur président a demandé à ce que le versement soit fait au nom de sa femme.
Quelle est la défense de Fabricio Queiroz ?
N’étant pas formellement accusé de quoi que ce soit, Fabricio Queiroz n’est pas obligé de répondre à la justice. Il a par deux fois, fin décembre, manqué les audiences prévues avec le Coaf. Le 26 décembre, l’ancien assistant parlementaire concède pourtant un entretien à la chaîne SBT. Il déclare : « Je suis un homme d’affaires. Je gère de l’argent. J’achète, je revends, j’achète, je revends. J’achète une voiture, je revends une voiture. J’ai toujours été comme cela. Toujours. » Fabricio Queiroz n’en dira pas plus. Il est hospitalisé les jours suivants à São Paulo et opéré pour une tumeur cancéreuse. En raison de cette hospitalisation, sa femme et ses filles refuseront également de se rendre au Coaf où elles sont elles aussi attendues pour des explications.
Flávio Bolsonaro est-il suspect dans l’affaire ?
Non, ce n’est pas lui mais bien son ex-assistant qui est visé par l’enquête. Ouvert à aider la justice, Flávio Bolsonaro a néanmoins lui aussi séché les audiences proposées par le Coaf au début du mois, invoquant un agenda désormais trop chargé. Mais vendredi, Globo a révélé que le Coaf avait également repéré des mouvements financiers suspects sur le compte du fils du président. En un mois, entre juin et juillet 2017, il aurait bénéficié de 48 dépôts de 2.000 reais, soit 96.000 reais. Le Coaf a ainsi noté que des opérations similaires à celles effectuées par Fabricio Queiroz ont été recensées sur le compte du sénateur : des dépôts en liquide, de valeurs fractionnées, effectués au distributeur de l’Alerj. Autre transfert suspect : plus d’un million de reais issu du compte de Flávio Bolsonaro à l’attention de la Caixa en juin 2017. Comme son ancien chauffeur, ce n’est pas devant la justice, mais devant les médias – plus particulièrement la chaîne évangélique Record - que le parlementaire a fini par s’expliquer dimanche soir. Les dépôts nombreux et fractionnés ? C’est à cause de la limite maximum de dépôt au distributeur. Le million de reais ? Il s’agissait de l’achat d’un appartement, qu’il a revendu ensuite. « Je n’ai rien à cacher à personne », a-t-il clamé.
Qu’attend la justice pour aller plus loin ?
Lundi dernier, le procureur général de la République de l’Etat de Rio de Janeiro, Eduardo Gussem, a indiqué que le Ministère public fédéral n’avait pas besoin d’attendre les dépositions de Flávio Bolsonaro et de Fabricio Queiroz pour formuler une accusation, les preuves étant déjà « consistantes », rapporte G1. Trois jours plus tard, le Tribunal suprême fédéral (STF), via le juge Luis Fux, décide de suspendre l’enquête, à la demande de Flávio Bolsonaro. Ce dernier a invoqué son immunité parlementaire et demandé en conséquence que le STF s’empare du dossier et que toutes les preuves récoltées jusqu’ici soient annulées. Cette suspension est valable jusqu’au retour de vacances, le 31 janvier, du juge du STF en charge de l’affaire, Marco Aurélio Mello. Ce dernier devra décider de la poursuite des investigations et surtout si elles restent entre les mains d’instances inférieures. Il y a de fortes chances qu’il abonde dans le sens contraire de Flávio Bolsonaro, ayant déclaré que si elle lui avait été présentée, la demande du sénateur aurait été jetée « à la poubelle ».