Ancien cadre dirigeant d’une grande entreprise française au Brésil, Christian Pouillaude a vécu, travaillé, voyagé au Brésil depuis plus de 40 ans. Passionné de musique brésilienne (au point de collaborer avec Radio Latina) et de tout ce qui touche à son pays d’adoption, il vit aujourd’hui dans la ville de son épouse, Rio de Janeiro, et collabore avec Bom Dia Brésil à travers une chronique mensuelle intitulée Palabres. Palabres, car on ne peut pas comprendre le Brésil sans saisir toutes les nuances de certains mots du vocabulaire brésilien. Palabres, car ce sont des mots qui prêtent à la réflexion et à la discussion. Le 22e volet de cette chronique se penche sur les origines du mot favela, intrinsèquement lié à l'histoire et à la géographie du Brésil...
Inutile de traduire ce mot : tout le monde le connait ! On pourrait risquer un « bidonville » mais qui serait par trop français. Non, favela, c’est bien brésilien, presque une marque déposée made in Brasil. Surtout pour l’extérieur, l’international. Au Brésil, on utilise de plus en plus le vocable plus politiquement correct de « communauté ». Mais on parle bien de la même chose.
Le mot favela vient d’ailleurs du plus profond de l’histoire et de la géographie du Brésil. En 1897, l’armée fédérale revient de Canudos, dans le sertão bahianais, où elle a sauvagement réprimé une révolte populaire et mystique. Elle rentre à Rio pour y être démobilisée mais il n’y a plus d’argent pour payer les soldes. Les autorités acceptent donc que les soldats s’installent provisoirement sur une colline non loin du centre de la ville, le Morro da Providencia. Les soldats la rebaptisent du nom de Morro da Favela, qui était celui de la colline d’où ils surveillaient Canudos. Ce nom de favela est celui d’une plante courante dans le Nordeste (euphorbe, en français). Le nom resta, les habitants provisoires et précaires de cette colline aussi. Le phénomène, alimenté par l’arrivée des esclaves libérés, se multipliera à Rio puis s’étendra progressivement à toutes les grandes villes du Brésil.
Culture de favela
Mais qu’est-ce qui caractérise une favela ? D’abord une occupation illégale de l’espace, généralement public : il n’y a ni cadastre, ni titre de propriété. Ensuite et par conséquence, une absence de toute infrastructure urbaine : pas d’électricité, pas d’eau, pas d’égout et enfin des constructions précaires, souvent à base de matériaux de récupération. Mais à partir des années 70, quand les autorités municipales de Rio réalisèrent que ces favelas étaient là pour rester, malgré quelques tentatives de « déguerpissement », on entreprit d’améliorer peu à peu les conditions d’habitat en « urbanisant » partiellement certaines favelas. Il faut dire que la plupart des habitants des favelas du centre de Rio ne souhaitaient en aucun cas les abandonner, en raison de la proximité de leur travail. Le choix était entre la favela ou trois à quatre heures de transport quotidien : c’était vite réfléchi !
On associera vite les favelas à la violence et à l’insécurité. Elles devinrent en effet le refuge des gangs de trafic de drogue qui y trouvèrent de parfaites conditions de travail : des zones difficilement accessibles à la police, un territoire de non-droit, une soumission contrainte et forcée des habitants et une proximité des clients « de l’asphalte ».
Mais il faut toujours bien rappeler que les habitants des favelas sont surtout des travailleurs modestes et d’honnêtes citoyens qu’unit une véritable « culture de favela », marquée par un fort esprit de solidarité et d’initiatives communautaires. A Rio il y a désormais toute une « gamme » de favelas. Certaines ont un IDH (Indice de développement humain) bien supérieur à la moyenne du Brésil. Certaines connurent même un début de « gentrification » pendant les années de pacification, comme celle du Vidigal ou de Santa Marta, où s’installèrent même quelques gringos !
Il y a aujourd’hui à Rio 763 favelas regroupant 22% de la population de la ville. Ça fait beaucoup de monde.