Dans une société brésilienne où l'avortement est toujours considéré comme un délit pénal, les avortements clandestins ont des conséquences mortelles pour les femmes et démontrent une défaillance en matière de santé publique. Au cœur du futur documentaire In Dubio Pro Societate de Juliana Reis se trouve le drame de deux femmes noires, Ingriane Barbosa et Lulu, tragiquement liées par un avortement clandestin à l'issue fatale. Le titre de son oeuvre reprend un vieil adage du droit brésilien, qui signifie qu'en cas de doute, il faut favoriser la société.
Une loi qui tue les femmes
La mort d'Ingriane Barbosa a été mise en avant au mois d'août 2018, lors d'une consultation publique auprès de la Cour suprême, pour débattre de la décriminalisation de l'avortement. L'avortement étant interdit au Brésil depuis 1940, Lulu, la femme qui a aidé Ingriane à avorter, est actuellement emprisonnée et va être jugée.
Le texte de loi sur l'avortement date d'une époque où les viols commis par le mari n'étaient pas considérés comme violence sexuelle. Quelques exceptions qui autorisent l'avortement sont présentes : violence sexuelle, risque de mort de la femme prouvable, encéphalite.
« Les grandes victimes de l'avortement, ce sont les femmes noires et pauvres »
« Les grandes victimes de l'avortement, ce ne sont pas les embryons. Ce sont des femmes, des femmes noires, pauvres, mères d'autres enfants et parents isolés, qui sortent des statistiques. Le cas d'Ingriane et Lulu exprime tout de ce qu'on vit au Brésil, en termes de santé publique, de liberté, du point de vue légal et d'hypocrisie sociale », s'indigne Juliana Reis auprès de Bom Dia Brésil.
Comment expliquer que la pénalisation de l'avortement soit encore en vigueur aujourd'hui ? Pour Juliana Reis, « il n'y a pas d'explication, ceci est juste une honte ». « Alors que depuis trois ans nous n'avons jamais autant entendu le mot "avortement", je pense que la femme brésilienne n'a pas su rendre prioritaire cette revendication. Probablement parce que la femme qui peut se payer un avortement clandestin de haut niveau ne se préoccupe pas de celle qui meurt. »
Alerte sur les féminicides au Brésil
Aujourd'hui, être une femme au Brésil reste une difficulté importante et un état qui constitue un danger pour la vie. En effet, au début de l'année 2019, la Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme alertait sur les chiffres alarmants des féminicides au Brésil (quatre femmes décédées chaque jour depuis le début de l'année) et appelait l'Etat brésilien à remplir ses obligations pour prévenir, sanctionner et éradiquer ces actes.
Selon le rapport du Forum brésilien de la sécurité publique, il y a eu une augmentation de 6 % des meurtres de femmes en 2017 par rapport à l'année précédente.
Juliana Reis regrette qu'en tant que femme brésilienne, elle n'ait toujours pas les mêmes droits et devoirs que les hommes : « Je ne veux pas être "une femme", mais "un être". La femme est encore un "demi-être" dans la société brésilienne. Les taux de féminicides explosent, la magistrature accepte de plus en plus de codifier la femme comme étant différente de l'homme en matière de droits, devoirs et responsabilités. »
Une parole libérée grâce aux initiatives féministes
La documentariste tient à saluer l'action des jeunes féministes et des mouvements d'émancipation des femmes noires, qui mettent en lumière le sujet de l'avortement sur la place publique, alors qu'il s'agissait avant d'un sujet tabou défendu dans l'ombre. De manière paradoxale, l'élection de Jair Bolsonaro et son alliance avec les évangéliques a pu aider à améliorer la visibilité de ce combat, car « nous nous sommes dits qu'il fallait urgemment sortir du placard et aller crier dans la rue », affirme-t-elle.
Cependant, Juliana Reis reconnaît qu'il reste des déconstructions sociales à effectuer pour que le débat puisse réellement avancer et réduire le nombre d'avortements clandestins : « Il faut que la société brésilienne arrive à séparer la question de la décriminalisation de l'avortement des considérations religieuses. Il n'y a pas à être pour ou contre l'avortement, quand on sait que les avortements clandestins tuent encore énormément de femmes dans notre pays. »
Un appel général
La question de la décriminalisation de l'avortement est en effet un sujet de société qui concerne l'ensemble du pays et ne doit pas seulement préoccuper les militantes féministes. C'est dans l'espoir que tous les Brésiliens et toutes les Brésiliennes se sentent concerné(e)s par la question du droit à l'avortement que Juliana Reis souhaite réaliser In Dubio Pro Societate. « Je ne veux pas faire un film qui soit juste applaudi par les militantes. Je tiens vraiment à ouvrir un espace de débat, qui porte aussi sur les questions de santé publique, car nous sommes dans une situation où des femmes meurent ou vont en prison car elles décident d'avorter clandestinement. »
Pour réaliser son film, Juliana Reis a lancé une première campagne de crowdfunding réalisée avec succès. Une nouvelle campagne sera lancée le mois prochain et pour celles et ceux qui ne résident pas au Brésil, il y aura aussi possibilité de soutenir le projet In Dubio Pro Societate via un virement PayPal. Pour suivre les actualités du projet, rendez-vous sur la page Facebook.