Jair Bolsonaro est à la tête du Brésil depuis le 1er janvier et les trois premiers mois de son gouvernement ont laissé une impression de grande confusion. Bom Dia Brésil s’est entretenu avec le politologue Wagner Romão, professeur à l’université de Campinas (São Paulo), pour analyser les premiers pas de l’ancien militaire au Planalto.
Ces premiers mois de mandat de Jair Bolsonaro ont été quelque peu mouvementés, sans état de grâce, est-ce toujours le cas pour un nouveau président brésilien ?
Non, car il y a eu une différence importante dans le cas de Jair Bolsonaro, ce n’est pas un présidentialisme de coalition. Il n’y a pas eu de dialogue avec les principaux partis politiques du Parlement pour former un gouvernement. Il a fait appel à ce qu’il appelle des « ministres techniques » et cela a été au final un facteur d’instabilité plus important. Certains d’entre eux, aux ministères clés, comme Paulo Guedes (Economie), Sérgio Moro (Justice) ou encore Augusto Heleno (Sécurité institutionnelle), ont immédiatement été mis en avant, d’autres ministères ont connu et connaissent encore des conflits entre différents groupes cherchant le premier rôle, comme celui de l’Education. Et il y a eu le cas du secrétaire général de la Présidence, Gustavo Bebianno, qui a été démis de ses fonctions, moins en raison des affaires judiciaires que de son conflit avec le clan Bolsonaro.
L’opposition craignait notamment la prépondérance de militaires au gouvernement – ils sont sept -, mais n’apparaissent-ils pas finalement comme les ministres les plus fiables ?
Ils apparaissent meilleurs parce que ce sont des professionnels de leur secteur, qu’ils ne s’exposent pas et sans doute parce que certains autres ministres sont mauvais. Ils tempèrent un peu cette posture idéologique extrêmement conservatrice du gouvernement, que l’on peut voir notamment aux ministères de l’Education, des Affaires étrangères ou des Droits de l’homme. Leur rôle de modérateur s’est vu particulièrement sur les sujets internationaux, que ce soit le Venezuela ou l’alignement sur les Etats-Unis.
Face à ces différents couacs de début de mandat et l’autonomie de certains, dont son vice-président, comment avez-vous trouvé la posture de Jair Bolsonaro, qui n’a pas semblé toujours bien tenir les rênes ?
Je trouve qu’il a encore beaucoup de force et un capital politique considérable, je ne pense pas comme certains qu’il est un président « jetable » parce qu’il a tout de même été assez compétent pour rassembler toutes ces personnes autour de lui et il garde une position qui représente toujours un sentiment fort de la population. Certes, il ne sait ni administrer ni être leader d’un groupe, il ne l’a jamais été, mais il sait maintenir la température chaude, en particulier sur les réseaux sociaux, via Twitter et Facebook, où il tient son propre leadership face à un ennemi de gauche qu’il s’est créé et dont il entend débarrasser le pays.
Malgré sa posture anticorruption, Jair Bolsonaro et son gouvernement ont rapidement été rattrapés par les affaires. Cela pourrait-il lui nuire ?
L’affaire concernant le ministre du Tourisme (des candidatures fictives durant les dernières élections, ndr), qui montre de nombreuses irrégularités, est assez scandaleuse, mais je pense que celle qui pourrait le plus mettre en danger Jair Bolsonaro est sa relation avec les milices de Rio. Plus les enquêtes sur l’assassinat de Marielle Franco et Fabricio Queiroz iront loin, plus elles risquent de révéler des éléments sur son passé avec les milices, qui font partie de sa base politique. Cela pourrait constituer un facteur d’instabilité en plus pour le gouvernement.
Qu’en est-il des propres fils de Jair Bolsonaro, Carlos notamment, dont la présence au plus près du pouvoir ne semble pas faire l’unanimité ?
En effet, ils ne gouvernent pas, mais ils ont une légitimité auprès de leur père et le pouvoir de faire renvoyer des ministres, comme on l’a vu avec Gustavo Bebianno. Nous nous retrouvons avec un simple conseiller municipal (Carlos Bolsonaro, ndr) qui a plus de pouvoir de persuasion que n’importe quel ministre, cela est inédit au Brésil. Et il est certain que Jair Bolsonaro n’écartera jamais ses fils et ne fera rien à leur encontre, la famille est le plus important pour lui. On sent même déjà une certaine rivalité entre les trois fils pour savoir qui sera son héritier politique.
Les débats sur la réforme des retraites ont commencé. Quelle est la relation de Jair Bolsonaro avec le Parlement ?
Pour le moment, Jair Bolsonaro n’a pas le contrôle sur le Parlement d’où son usage de décrets et mesures provisoires. Il va devoir compter sur Rodrigo Maia (président de la Chambre des députés, ndr), Onyx Lorenzoni (ministre de la Casa Civil, ndr), Joice Hasselmann (députée PSL) et la troupe de choc du PSL pour faire voter ses lois et il en est encore très loin. Un premier relevé a montré que, à l’heure actuelle, seul un tiers des députés soutenait la réforme des retraites présentée par le gouvernement. Son parti est encore naissant, il va devoir se monter une base au Parlement et donc certainement revenir à un présidentialisme de coalition, comme Michel Temer l’avait très bien illustré en partageant littéralement le pouvoir avec le Parlement, avec la Chambre des députés ou le Sénat en fonction des lois à faire passer. Rappelons que c’est le fait d’avoir perdu le Parlement qui a coûté sa place à Dilma Rousseff.
Pensez-vous tout de même que Jair Bolsonaro parviendra à concrétiser ses promesses de campagne et mener sa politique ?
Il n’a promis que très peu de choses… Même la réforme des retraites ne faisait pas partie de son programme. Mais la mener à bien lui apporte une bonne partie de ses soutiens actuels et c’est à la fois un défi et un symbole s’il parvient à la faire adopter. Quant aux quelques promesses de campagne qu’il a faites, elles ont déjà été réalisées pour la plupart, que ce soit celles en faveur des agriculteurs ou des conservateurs en général. Pour ses partisans les plus idéologiques, il a déjà réussi. Néanmoins, l’élément clé, c’est l’économie et entre une croissance faible, un chômage toujours aussi fort et une réforme des retraites draconienne, sa base électorale populaire pourrait être affectée. Mais il faudra au moins un an avant d’en voir les conséquences.
Quid de l’opposition parlementaire, notamment de gauche, existe-t-elle déjà ?
On a commencé à l’entendre un peu au sujet des armes, des autochtones ou encore de l’éducation, mais elle va véritablement se mettre en place au cours des prochaines semaines et mois à l’occasion du débat sur la réforme des retraites, qui va monopoliser l’attention. Le Parti des travailleurs (PT) devrait prochainement présenter une alternative. L’opposition va profiter de chaque faux pas de Jair Bolsonaro et il lui en a déjà offert quelques-uns. Pour le moment, il a concédé plus de défaites politiques que de victoires. Mon impression générale est qu’il a déjà moins de popularité qu’au 1er janvier.
Jair Bolsonaro a entamé cette semaine son premier voyage à l’étranger, aux Etats-Unis. Que peut-on dire de sa politique internationale ?
Je suis très perplexe. Où va le Brésil dans ce circuit mené par les Etats-Unis ? En se rapprochant d’Israël, du Chili… Les militaires comme les acteurs de l’agro-négoce n’y adhèrent pas et il est déjà rattrapé par la réalité économique, notamment vis-à-vis de la Chine et des pays arabes. Malgré ce qu’on a pu entendre dans ses discours et ceux d’Ernesto Araujo (le ministre des Affaires étrangères, ndr), le Brésil devrait reprendre le chemin de la normalité. Ils pourront toujours satisfaire leurs partisans avec des détails comme l’esthétique des passeports ou des plaques d’immatriculation.
Au final, Jair Bolsonaro au pouvoir est-il aussi effrayant que certains ne le craignaient ?
Il y a tout de même une offensive du pouvoir contre quelques institutions (universités, syndicats…) avec un ton menaçant. Des mesures ont été prises pour affaiblir des secteurs traditionnellement à gauche et nous verrons comment Jair Bolsonaro parviendra à ses fins dans les limites de la légalité.